Au coeur de la fiction : Les Jeux Olympiques du Risque

Comment anticiper les risques d’un « méga-évènement » tels que les Jeux Olympiques de 2024 à Paris ? La question est complexe. Surtout pour Paul Revaux, ex-champion Olympique d’escrime, ancien officier de la gendarmerie, et depuis l’été 2021, le « directeur délégué sécurité et gestion du risque pour le comité d’organisation des jeux Paris 2024 ». La crise sanitaire du Covid-19, qui a eu ses rebondissements, semble désormais contenue. Pourtant, c’est la troisième fois en deux mois que Paul doit discrètement passer dans les locaux de la DGSI, à Levallois.

Une fiction de Guy-Philippe Goldstein, enseignant à l’Ecole de Guerre Economique

L’alerte

Son interlocuteur à la DGSI, « Philippe », un ex-grand flic désormais habitué des ministères, l’accueille avec toujours beaucoup d’affabilité et l’installe dans un petit bureau à l’écart, protégé de verres fumés. A l’intérieur – surprise – les attend « Sonia », une analyste d’une trentaine d’années au regard bleu minéral qui appuie chacun de ses mots. C’est elle qui parle.

« – Monsieur Revaux, un groupe de quatre djihadistes liés au nouvel Emir Abou Hamza al-Masri a été identifié quittant Gaziantep en Turquie, il y a trois semaines. Un faisceau d’indices nous laissent penser avec une forte probabilité que cet Emir a décidé de frapper un grand coup pour assoir son contrôle. Les Jeux Olympiques en France pourraient être sa cible. 

– Vous avez perdu leur trace ? »

Revaux a réagi du tac-au-tac. Il se doute aussi que si on le prévient maintenant, alors même que la cérémonie d’ouverture des Jeux se tient dans 100 jours, c’est que l’ensemble des services est sur les dents. On l’a alerté, parce que l’on n’avait plus le choix.

Sonia répond : « -La situation est bien suivie en Europe. Le risque est maitrisable. Mais des ajustements de votre dispositif de sécurité seront nécessaires. »

Paul a la boule au ventre. Le risque terroriste, c’est sa hantise absolue – le massacre aux Jeux de Munich en 1972 par un groupe de terroristes palestiniens ; la bombe artisanale fabriquée par un extrémiste réactionnaire aux Jeux d’Atlanta en 1996 ; et l’attaque au couteau contre un homme d’affaires américain lors des Jeux de Pékin en 2008. Le plus grand spectacle du monde, et donc sa plus grande scène. Dans le taxi qui le ramène dans ses bureaux boulevard Haussmann, la mémoire des attaques de 2015, il y a neuf ans – une éternité ! – ressurgit brutalement. Son cercle d’amis dans la gendarmerie avait été concerné au premier rang. Il faut désormais réfléchir à la manière de répondre à une attaque kamikaze.

La conversation en tête à tête qui suit avec le Président du Comité d’Organisation, que Paul prévient immédiatement, le déroute cependant un peu. Celui-ci lui lance : « ce n’est pas la première fois que nous avons une alerte djihadiste. Je ne veux pas minimiser le problème. Mais… Nous sommes en 2024, pas en 2015. Risquons-nous d’être en retard d’une guerre ? » Le Président veut une revue générale des risques dans trois jours.

Paul est au pied du mur. Que faire ?

Retour en 2024

Paul décide d’abord de prendre conseil auprès d’autres experts du terrorisme, histoire d’apporter un peu de contexte à la nouvelle alerte qu’il vient de recevoir. Non pas qu’il remette en cause les informations ultra confidentielles qu’il a reçues, loin de là. La menace est prise très au sérieux. Mais il a pour habitude de se faire une opinion « par lui-même ». Là-dessus, les sons de cloche sont les mêmes : en 2024, le Moyen-Orient reste dans un état de grande instabilité. La situation en Syrie est trouble, car la puissance Russe, qui maintenait le régime en place, s’est affaiblie suite à la crise de 2020-2021 et au trou d’air à la fois sanitaire et pétrolier. Le Président syrien a été la victime de tentatives d’assassinat. Des poches de résistance djihadistes se sont formées dans le pays et ailleurs. Les troubles économiques ont fait vaciller le pouvoir du jeune prince d’Arabie Saoudite, l’homme fort du pays. A partir de 2022, les différents clans au sein de la famille royale, fermement opposés à la consolidation de son pouvoir, ont utilisé des combattants wahhabites à travers la région pour illustrer leur capacité de nuisance à usage domestique. Se faisant, ils ont créé un nouveau « marché de l’activisme terroriste ». Pour récupérer du financement, ces « entrepreneurs djihadistes » doivent démontrer leur savoir-faire pour se démarquer de la compétition. Le nouvel Emir Abou Hamza al-Masri correspond bien à ce profil. En outre, la réactivation du conflit israélo-palestinien, récupéré par la propagande djihadiste dès le début de 2020, offre un vivier inépuisable de recrues. Le scénario des hommes de Levallois est plus que crédible.

« …Sauf que les attaques terroristes dans un pays sur le point de tenir un ‘méga-event’, ce n’est pas si évident que cela ! » lui retourne l’un de ses contacts experts, Laure, une amie spécialisée dans l’étude des réseaux djihadistes en ligne. « Les groupes terroristes savent bien que toutes les autorités policières et de renseignement vont être sur les dents. Le risque de se faire démasquer sur le territoire national devient trop fort. Du reste, des analystes statistiques entre 1972 et 2014 n’ont pas montré d’écarts significatifs entre les six mois précédant les Jeux et les années précédentes, en termes de risque terroristei. Et c’est peut-être encore plus vrai pour un pays qui a été forcé de réactualiser sa posture anti-terroriste et de l’adapter à une menace plus forte, comme les Etats-Unis après 2001 ou la France après 2015. Plutôt que d’envoyer des équipes, ce qui est très risqué, il vaudrait mieux poursuivre la stratégie d’attribution opportune du geste d’un déséquilibré vaguement endoctriné via les réseaux sociaux. Ou frapper ailleurs en Europe, sur une cible ‘molle’… »

Paul n’est pas plus avancé.

Ce qu’il entend par la suite de la bouche de Françoise Herblay, l’une des têtes pensantes d’un think tank proche du gouvernement, toujours tirée à quatre épingles, la soixantaine élégante, ne l’aide pas plus.

« M. Revaux, pour moi, le vrai problème, ce n’est pas la radicalisation d’une minorité. C’est la radicalisation de la majorité. Et vous connaissez comme moi le contexte depuis 2020-2021. ».

Oui, évidemment. Comment l’oublier ? La cascade de conséquences économiques, sociales et politiques qui avait démarré avec les décisions de confinement dans le monde occidental, en mars 2020. Après la crise sanitaire, avait déferlé à partir de l’été 2020 un tsunami de faillites en tout genre entraînant à travers le monde occidental de nouvelles pressions cataclysmiques sur les banques commerciales. L’Europe et l’Asie avaient tenu initialement. Dans ces deux zones économiques, les Etats avaient relancé la planche à billets et s’étaient jetés à corps perdu dans une politique de soutien keynésienne, adaptée aux trous d’air économiques. Le risque d’hyper-inflation, seule limite réelle à ce type d’action, était d’autant plus éloigné initialement que l’économie mondiale était déjà entrée en territoire pré-déflationniste avec des taux d’intérêt longs tellement bas qu’à la mi-2019, dans les pays du nord de l’Europe, certaines banques « payaient » les emprunteurs avec des taux d’intérêt négatifsii !… Cependant, si dès mai 2020, l’absence d’un retour à la croissance d’avant le Covid-19 en Chineiii et les pressions déflationnistes de plus en plus fortesiv avaient conduit gouvernements et banques centrales à des gestes énergiques – comme le plan de 500 milliards d’euros de « Coronabonds » Franco-Germanique – un pays recula des quatre fers face à une action de stabilisation de l’économie mondiale : les Etats-Unis d’Amérique. Il ne s’agissait pas uniquement du Président Trump, mais également de l’action des élus de ce qui fut autrefois un grand parti, les Républicains. Déjà en 2008, en pleine crise, la Chambre qu’ils dominaient avait rejeté le plan TARP proposé par le Président Bush Jr., provoquant une dégringolade de 770 points de l’indice Dow Jonesv. En 2020, les réticences répétées et le retard à l’allumage des Républicains au Congrès – à un moment où, comme pour toute crise grave, le succès tient dans la vitesse d’intervention – fut le déclencheur des « évènements » qui finirent par entrainer l’ensemble du monde occidental. Les faillites en chaîne et le maintien d’un chômage massif aux Etats-Unis dans le courant de 2020, même après les déconfinements, finirent par entraîner les économies européennes et asiatiques. Et après : la gravité de la crise sociale, pouvant se transformer parfois en émeutes de la faim. Les nouveaux déferlements d’extrêmes droites sur les réseaux sociaux. Les cyber-attaques contre le registre des électeurs – et cela, malgré les mises en garde répétées dans les années précédentesvi. Les limites non-démocratiques contre le vote postal. In fine, la contestation des résultats des élections américaines de novembre 2020. Le point tournant.

Les années de trouble

C’est alors que commence la période dite « des troubles », où l’Amérique, à sa propre stupeur, se surprend à vaciller au bord de la guerre civile – alors que 3% seulement des américains possèdent la moitié des 260 millions d’armes à feu en circulation dans le paysvii, et que les attaques au fusil mitrailleur contre les bodegas, les synagogues et les permanences du Parti Démocrate se multiplient. Vient le troisième contre-coup économique pour le reste de la planète quand les Etats-Unis, le pays représentant un quart du PNB mondial, se met à nouveau à tanguerviii. Et donc : la nouvelle crise financière puis cette fois bancaire, et enfin sociale. Les risques sur une énorme bombe à retardement – la dette italienne. La montée inexorable et mécanique du populisme d’extrême droite à travers le monde – cette déferlante sur le point de submerger définitivement l’Occident en cette première partie des années 2020. Quels impacts pour Paris 2024 ?

C’est le moment où Françoise Herblay se tourne vers Paul, et va lui livrer « sa » vérité.

« – Monsieur Revaux, connaissez-vous le Mouvement Impérial Russe ? C’est le premier groupe de ‘Suprémaciste Blanc’ à être désigné comme entité terroriste par le Département d’Etat américain. C’était en avril 2020ix. Ils ont inspiré deux attentats commis en Suède en 2016 et 2017… » Paul ne dit rien. François Herblay poursuit. « … En tout cas, j’imagine que vous avez entendu parler de QAnon ? ». Oui, Paul connaît. Le groupe américain conspirationniste d’extrême droite qui est apparu en 2017, fondé sur la croyance qu’un officier important, Q, livrait une lutte secrète en compagnie du Président Trump contre une cabale de satanistes pédophiles composée d’Hillary Clinton, Barack Obama, George Soros et de la famille Rothschild– en attendant qu’un affrontement final, « la tempête », envoie les ennemis de Q en prison à Guantanamo Bay. En 2019, le FBI avait envoyé une alerte identifiant le mouvement Q comme nouvelle source de terrorisme domestiquex. Et pourtant, le mouvement avait continué de croitre. Dès 2020, il avait recruté un candidat officiel du Parti Républicain pour les élections au Sénatxi. Via la fachosphère française, le mouvement s’était introduit dans l’Hexagone dès 2019xii. La suite était connue : l’infiltration du mouvement libertaire qui s’était opposé violemment aux mesures de re-confinement lors de la grande deuxième vague épidémique. Les violences quasi insurrectionnelles qui étaient survenues ponctuellement, à l’image de ce qui se passait en Allemagne, et qui n’était finalement qu’un retour de la colère déjà identifiée dans le mouvement des Gilets Jaunes. « Sauf que l’épidémie est beaucoup plus virulente désormais », reprenait Françoise Herblay, sur l’air de ‘je vous l’avais bien dit’. « Nous sommes face à une contagion jamais vue de désinformation. Parce que le ‘mass média’, depuis sept-huit ans, ce sont les réseaux sociaux, et que nous n’avons jamais osé les réguler comme nous l’avons fait pour la télévision ou la radio. Résultat : la peur sociale a muté en pandémie conspirationniste qui via les écrans distribués se retrouve dans une majorité des têtes – en particulier les plus vulnérables de ce nouvel âge technique, c’est-à dire les plus de quarante ans. » Paul l’arrête. « -Vous craignez de nouvelles vagues d’attaques d’extrême droite ?

– Bien sûr. Et plus encore, dans votre cas, que le mouvement olympique soit ‘intégré’ à la cabale ‘mondialiste’, cible de ces conspirations d’extrême droite. Certains sites olympiques dans Paris ou ailleurs pourraient alors se retrouver brusquement submergés de manifestants et d’émeutiers, coordonnés via les réseaux sociaux. Comme cela était arrivé au début du mouvement des Gilets Jaunes, en novembre, quand tout d’un coup la police dans le quartier de l’Elysée s’est retrouvée totalement dépassée par des manifestants qui s’étaient coordonnés via le net. Il s’agit d’une matrice importante pour tout ce qui peut vous arriver.

  • Qui pourraient aider ces groupes ? »

Françoise Herblay sourit, désolée. « Trop de monde. Cela peut aller des communautés locales, là où sont implantés les sites olympiques, si elles considèrent qu’elles n’ont pas reçu leur part de compensation lors de l’installation des sites. Ou simplement si elles subissent de plein fouet la crise. Par exemple en Seine-Saint-Denis. » Paul ne dit rien, et laisse continuer Françoise Herblay. « … Et puis, surtout, il y a derrière cela le rôle des Etats. Vous n’êtes pas sans ignorer, pardonnez-moi l’expression, le ‘bordel géopolitique’ dans lequel nous nous sommes enfoncés depuis plusieurs années et qui s’est accéléré avec la crise sanitaire et économique. Des adversaires comme la Russie ou la Chine vont continuer d’utiliser réseaux sociaux et intelligence artificielle pour attiser la folie conspirationniste et essayer de nous affaiblir durablement. Et je pourrais énumérer les crises domestiques déclenchées par l’affaiblissement de pouvoirs autoritaires – tels que celui des quasi -‘Président à vie’ Xi Jinping et Vladimir Poutine – et celles qu’ils ont provoquées à l’extérieur pour rallier sous le drapeau leur population. La crise à Hong Kong à partir de 2020. La nouvelle crise politico-militaire en Ukraine en 2021. Les graves attaques cyber contre Taïwan en 2022. La Chine et les Etats-Unis au bord du précipice, près de la ligne de faille cyber-nucléaire. Les attaques cyber contre les pays nordiques en 2023. Le renouveau des escarmouches militaires contre le Vietnam ou l’Inde au cours des deux dernières années – et la Chine qui s’enchaine au Pakistan contre l’Inde. A chaque fois, les roulements de tambour, la montée des passions nationalistes – la dernière légitimité des régimes autoritaires en crise. A chaque fois, on s’arrête juste au bord du précipice. Mais jusqu’à quand ? D’un autre côté, cela devient tellement facile. D’une part, la puissance américaine depuis la présidence Trump a perdu énormément de crédit et de pouvoir de dissuasion. C’est devenu une invitation à l’agression. D’autre part, les cyber-attaques se sont transformées en un nouveau langage d’affrontement entre puissances – comme l’a démontré le cyber-conflit entre l’Iran et Israël, démarré en avril-mai 2020 par l’attaque iranienne contre des centres de retraitement des eaux usagées en Israël, afin de les rendre impropre à la consommation ; et la réponse Israélienne deux semaines plus tard, quand le port de Bandar Abbas en Iran, où transite plus de 90% du trafic container du pays, a été totalement désorganisé pendant plusieurs jours suite à une cyber-attaquexiii… On peut très bien imaginer que pour faire une démonstration de force, un pays aux intérêts opposés à la France, ou qui souhaiterait amplifier la haine conspirationniste en la ciblant contre les JO, symbole du mondialisme triomphant, s’en prenne à votre organisation, M. Revaux. On pourrait tout simplement fabriquer en ligne des rumeurs de dopage de certaines équipes, ou de corruption des autorités olympiques. On pourrait aussi attaquer la billetterie. Fausser ou interrompre les scores ou les chronomètres dans les compétitions. Déclencher des alertes d’urgence. Stopper des éclairages ou que sais-je encore pour créer panique et effet psychologique, humilier les JO, et donner une victoire symbolique aux forces conspirationnistes, en les incitant à en profiter pour descendre dans la rue pour marquer le coup. » Paul encaisse. Sur les conseils de Françoise Herblay, il enchaine avec une analyste d’à peine une trentaine d’années, spécialiste des nouveaux risques émergents et ancienne hackeuse « pas forcément très éthique », comme l’avait prévenu Françoise.

2024 et au-delà

Le rendez-vous est pris deux heures plus tard dans un café du 11e avec « Sophia », tailleur anthracite et chemisier blanc dissimulant un tatouage émeraude, se trahissant à la naissance du cou. Expresso après expresso, elle énumère les différentes manières par lesquelles la surface d’attaque technologique va offrir de nouvelles opportunités d’agression contre les JO.

« – Les exemples de Françoise sont une voie moyenne. Une approche plus complexe, mais pas irréalisable, c’est le sabotage des robots de service dont l’usage a explosé dans l’hôtellerie et même la restauration avec la crise Covid-19. J’imagine que vous en avez loué un paquet pour les JO ? » Paul ne dit rien. Sophia continue. « Ditto pour les drones de surveillance. Et il y aurait mille et une façons de semer le chaos dans le village des athlètes ou, encore mieux, dans le village des médias. Mais c’est presque ‘overkill’. Le plus simple serait de déclencher de faux mouvements de panique en ligne, comme les Russes l’ont fait avec les attaques terroristes du 11 Septembre 2014 dans des installations pétrochimiques de Louisiane, qui ont effrayé Twitter – et qui en fait n’ont jamais eu lieuxiv. On pourrait même imaginer une armée de bots spécialement éduqués via l’IA, capable de se construire des légendes parfaitement crédibles, intégrés depuis des mois dans les dialogues des réseaux sociaux de tout type – y compris sur les sites de dating – et donc capable de manipuler psychologiquement, massivement et de manière beaucoup plus sophistiquée qu’en 2016 des dizaines, de milliers de personnes, elles-mêmes servant de caisse de résonance pour démultiplier l’effet. Après tout, cela fait pas mal d’années que l’on a peut-être déjà passé le test de Turing sur l’IA, à savoir la capacité à tenir une conversation avec un automate sans se rendre compte qu’il ne s’agit pas d’un humain. » Sophia tire une moue boudeuse. « Evidemment, Françoise est focalisée sur les désordres géopolitiques. Mais vous savez, Paul, je pourrais vous évoquer toute une liste de risques sociaux qui n’ont rien à voir avec la politique – comme la cybercriminalité ou les gangs en Seine Saint-Denis dont les JO pourraient être victimes. Ou vous parler du plus grand et plus sanguinaire terroriste que l’humanité connaisse : notre mère Nature !… Il y a bien sur la colère écologique et ses épisodes de chaleur extrême. Leur nombre sera multiplié par 4 entre 1980 et 2050, avec des extrêmes plus élevés – comme les 46 degrés relevés dans l’Hérault en août 2019xv. Et à chaque fois, une surmortalité par jour de canicule qui peut monter en Europe jusqu’à +33%xvi. En espérant qu’aucun de vos athlètes ne fasse un malaise cardiaque… Il y a aussi les éjections de masse coronale, ces boules de plasma produites par le soleil et capables de brouiller toutes nos installations de télécommunications. C’est ce qui était arrivé en 1859, l’évènement Carrington – avec des aurores boréales visibles jusqu’au Mexique, et des systèmes télégraphiques complètements grillés à travers le mondexvii. C’est ce qui faillit nous arriver en 2012, alors que toute notre humanité dépendait déjà totalement des systèmes de communication, et cela encore plus avec l’explosion du télétravail à la suite de la crise du Covid-19. Or, des évènements Carrington frappent la terre tous les 150 ansxviii. Et le dernier a donc eu lieu en 1859. Et le haut du prochain cycle solaire aura lieu théoriquement l’année prochaine, en 2025, mais, comme en 2012, une irruption dangereuse pour la terre pourrait aussi arriver avant le haut du cyclexix… Sans oublier que comme en 1967, un orage électromagnétique pourrait être confondu avec un début d’attaque ennemie entre grandes puissances nucléairesxx… Enfin, n’oublions pas le principal tueur accidentel de mère Nature : le virus. Allons-nous désarmer sanitairement parce qu’aujourd’hui, la Covid-19 nous fait moins peur ? Comme nous l’avions fait après l’épidémie de H1N1 en 2009 ? Bien sûr que non. Le risque d’une épidémie de grippe aviaire rôde toujours. Plus de 600 000 virus circulent à travers le monde, capables de sauter de l’animal à l’être humainxxi. Le nombre de nouvelles épidémies est passé de moins de 200 par an entre 1980 et 1985 à plus de 600 par an vingt ans plus tard. Et dieu sait quelle a été la progression après 2010xxii… »

Sophia voit Paul se décomposer devant elle. Elle finit le fond de son troisième expresso et le réconforte d’un grand sourire.

« -J’ai quand même trois bonnes nouvelles pour vous, Paul. La première, c’est que si la menace est trop grave, ce ne sera plus vous mais directement l’Etat qui sera concerné. Néanmoins, si la crise arrive au moment où les Jeux ont déjà commencé – le Comité d’Organisation sera alors jugé sur sa réponse, y compris peut-être par les tribunaux. La deuxième bonne nouvelle : lorsque l’on est préparé, vraiment bien préparé, on peut surmonter ces obstacles. Il y a eu dix fois moins de morts en France lors de la canicule de 2019 comparée à celle de 2003, en grande partie parce que le risque a été bien identifié et préparéxxiii. Et même face à un tueur implacable comme un virus respiratoire, sans vaccin et sans thérapie, on peut parfaitement s’en tirer. C’est en grande partie parce que ces pays étaient parfaitement préparés, à la différence de la France, que la Corée et Taiwan ont eu entre 100 et 1000 fois moins de morts par habitants lors de la première vague du Covid-19. La troisième bonne nouvelle, c’est que toutes ces menaces peuvent être déjà identifiées. Ce n’est même pas une question d’imagination. Le danger, ce n’est pas le Cygne Noir, le risque rarissime et insaisissable – et qui finit par arriver. Je vais vous livrer un secret : par définition, le risque rarissime est rarissime. La crise financière de 2008 était-elle un « Cygne Noir » ? Parce que dans l’histoire de la finance, ce type de choc n’arrive qu’une fois tous les cinquante millions d’années ?… Foutaise. Tous ces risques, pour l’essentiel, ce sont des « Rhinocéros gris », comme l’écrit Michele Wucker. On les voit arriver de loin et ils foncent sur vous. On peut les préparer, mais on ne le fait pas. De 2008 à 2017, les six éditions successives du registre national du risque au Royaume-Uni ont toutes classé comme risque avec la sévérité la plus grave, et l’une des probabilités les plus élevées d’occurrence, le risque de pandémiexxiv. On a vu le résultat. Pourquoi ? Par exemple : ‘ces rhinocéros, je ne les ai pas vu récemment ; j’ai plus urgent ; et dans dix ans – je serai ailleurs…’. Ou pire encore… ‘c’est dans un document, donc quelqu’un d’autre va s’en occuper…’ » Sophia finit sa tasse de café, radieuse. « Et enfin, la raison la plus basique : ‘J’ai peur. Et surtout, j’ai peur d’avoir peur. Et puis pourquoi ‘affoler’… »

Sophia arrive au bout de la conversation.

« Là se trouve le dernier secret, cher Paul. Il est d’une simplicité biblique. Si vous voulez échapper à vos cauchemars, regardez-les en face. Les yeux dans les yeux. Pour qu’un cauchemar reste un mauvais rêve, il faut le prendre aussi sérieusement que s’il vous tombait dessus demain. Ce n’est que comme cela que lorsque demain se lèvera, les monstres auront disparus. Ou au pire, ils auront été apprivoisés – ce qui n’est déjà pas si mal. »

i  https://www.washingtonpost.com/news/worldviews/wp/2016/08/05/5-facts-about-the-olympics-and-terrorism/

ii https://www.dw.com/en/get-paid-for-a-home-loan-european-lenders-turning-banking-on-its-head/a-50126021

iii https://www.wsj.com/articles/china-economic-data-indicate-v-shaped-recovery-is-unlikely-11589257260

iv https://markets.businessinsider.com/news/stocks/economic-outlook-deflation-bigger-risk-inflation-fed-prints-money-bofa-2020-5-1029207184

v https://en.wikipedia.org/wiki/Troubled_Asset_Relief_Program

vi https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2020/06/putin-american-democracy/610570/

vii https://www.theguardian.com/us-news/2017/nov/15/the-gun-numbers-just-3-of-american-adults-own-a-collective-133m-firearms

viii https://www.theglobaleconomy.com/usa/gdp_share/

ix https://www.state.gov/designation-of-the-russian-imperial-movement/

x https://news.yahoo.com/fbi-documents-conspiracy-theories-terrorism-160000507.html

xi https://www.washingtonpost.com/politics/believer-in-qanon-conspiracy-theory-wins-republican-senate-nomination-in-oregon/2020/05/20/bf2d910a-9aaa-11ea-89fd-28fb313d1886_story.html

xii https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/donald-trump/qanon-le-mouvement-complotiste-fan-de-donald-trump_3639677.html

xiiihttps://www.washingtonpost.com/national-security/officials-israel-linked-to-a-disruptive-cyberattack-on-iranian-port-facility/2020/05/18/9d1da866-9942-11ea-89fd-28fb313d1886_story.html

xiv https://en.wikipedia.org/wiki/Columbian_Chemicals_Plant_explosion_hoax

xv https://en.wikipedia.org/wiki/June_2019_European_heat_wave

xvi https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2914717/

xvii https://en.wikipedia.org/wiki/Solar_storm_of_1859

xviii https://www.insurancejournal.com/news/international/2013/05/23/293060.htm

xix https://en.wikipedia.org/wiki/Solar_storm_of_2012

xx https://www.space.com/33687-solar-storm-cold-war-false-alarm.html

xxi https://www.scientificamerican.com/article/why-the-coronavirus-slipped-past-disease-detectives/

xxii  https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rsif.2014.0950

xxiii https://www.climatecentre.org/news/1191/new-official-data-in-europe-exposes-heatwaves-as-still-the-a-silent-killera-of-the-elderly

xxiv https://www.gov.uk/government/collections/national-risk-register-of-civil-emergencies