Au cœur de la gendarmerie de demain

Mars 2044 : La gendarmerie est alertée numériquement du braquage électronique d’un datacenter en couche basse de l’atmosphère. Le responsable de réseau, contacté par visihologramme, confirme l’information. Les gendarmes se dirigent en drone autonome vers le téléport le plus proche et rejoignent instantanément les installations techniques pour mettre en place les mesures de sauvegarde physique pendant que le eGIGN progresse sur les réseaux afin de donner un assaut numérique.

Fiction ? Certes, mais cela n’empêche pas d’anticiper !

Par Benoît Tonanny, Cabinet du DGGN

C’est tout l’objectif du plan stratégique « Recherche & Innovation » (PSRI) que la gendarmerie a mis en place pour répondre au besoin d’équipement du terrain et pour mieux maîtriser la riposte face aux mésusages technologiques.

Des besoins traduits en opportunités

Le PSRI (agenda 2018-2023) planifie par technologies clés, les jalons à franchir en soutien de la modernisation de la gendarmerie nationale pour répondre aux besoins exprimés par le terrain. Évolutif et revu chaque année, il accompagne et renforce la démarche de recherche et d’innovation de la gendarmerie par la mise en place d’une vision d’ensemble cohérente orientée vers la satisfaction des besoins exprimés par les unités de terrain pour être plus efficaces et performantes dans leurs missions.

Au cœur de la veille, figurent l’autonomie énergétique, la cryptographie quantique, le micro-séquençage ADN, les nanotechnologies, l’optronique, la perception multi-spectrale, les sciences du vivant, les sciences du comportement, les technologies très basses fréquences et les véhicules autonomes.

Une stratégie d’expansion technologique

La gendarmerie bâtit sa stratégie d’expansion technologique avant tout sur l’humain qui est et demeurera au cœur de ses préoccupations tant dans la mise en œuvre et la décision que dans la finalité : la protection de la population ! C’est tout l’objet de la stratégie de transformation GEND 20.24 : Répondre Présent, pour la population, par le gendarme.

Le développement technique sera prudent et responsable, soucieux et respectueux de la bio-diversité comme des libertés individuelles et de la sécurité collective.

Certains domaines de la science et de l’innovation constituent ou constitueront à brève échéance des sources de rupture technologique et sociétale. La gendarmerie doit percevoir ces ruptures aussi tôt que possible pour mieux anticiper et faire face aux nouvelles menaces potentielles et détecter les éventuelles opportunités technologiques. Pour ce faire, elle s’attache à construire les occasions et les environnements propices à l’émergence d’innovations qui répondent à un besoin opérationnel, en développant les compétences : c’est la mission de la communauté des 90 docteurs et des 300 ingénieurs de la gendarmerie pilotée par le centre de recherche des officiers de la gendarmerie nationale et l’observatoire national des sciences et technologies de sécurité. C’est en outre la volonté de diversifier encore les compétences internes en assurant 40 % de recrutement scientifique pour les officiers et en allant chercher des profils techniques pour les sous-officiers.

Si le champ d’action recouvre bien toutes les sciences, des sciences dures à celles du vivant, l’horizon de recherche et d’innovation reste en priorité contenu à 5 ans ; cette politique est autant le fait des moyens qu’il est possible de consacrer à la R&I que de la capacité à évaluer avec précision l’évolution de la menace. La recherche plus fondamentale fait quant à elle l’objet d’une veille active.

Enfin, les partenariats avec l’ensemble des forces de sécurité, de secours, de renseignement ou encore les Armées portent des synergies fortes pour parvenir à s’inscrire dans un tempo technologique soutenu et un continuum essentiel, notamment territorial sous l’autorité des Préfets. L’appréciation des opportunités et des risques que les progrès scientifiques comportent est donc largement partagée par nos partenaires, notamment européens. La gendarmerie intensifie ses échanges, plus particulièrement au sein de la FIEP (association internationale des forces de police à statut militaire) et de l’ENFSI (réseau européen d’instituts de sciences forensiques). Dans le cadre bilatéral, le champ de la coopération avec l’Allemagne a été renforcé en 2017, notamment entre le Pôle judiciaire de la gendarmerie nationale (PJGN) et son homologue allemand le BKA. Des contacts locaux entre les gendarmes, les start-up ou les industriels et le monde académique sont régulièrement entretenus au sein des pôles de compétitivité sur l’ensemble du territoire.

7 axes stratégiques

Le Numérique

C’est d’abord le tout mobilité, c’est à dire la capacité pour le gendarme de porter son action hors les murs et au plus près de la population par la mise en place d’un véritable bureau mobile qui lui permet d’accomplir l’ensemble de ses missions aux côtés du citoyen sans avoir besoin de retourner à la brigade. Ce sont aussi de nouvelles techniques d’interventions qui reposent sur l’invisibilité des forces ou sur la sur-visibilité (hologramme) pour gagner l’avantage sur le terroriste et le criminel, par exemple en intervention ou dans une opération de surveillance. C’est encore la capacité à identifier les éléments sources de l’impression 3D dont les mésusages sont d’ores et déjà bien réels. C’est enfin la protection du gendarme avec l’arrêt des véhicules à distance, en toute sécurité pour la force publique comme pour le conducteur et les passants, face au fléau des refus d’obtempérer (1 toutes les demi-heures en France).

Le Big data

Il s’agit de pouvoir donner la bonne donnée au bon gendarme au bon moment et au bon endroit par une véritable numérisation de l’espace des opérations que le gendarme recherche un malfaiteur sur le terrain, conduise une analyse de données de masse saisies dans le cadre d’une enquête judiciaire ou se consacre à la gestion du personnel ! Pour faire face au triple enjeu de volume, de variété et de vélocité, la gendarmerie doit développer ses capacités de stockage et de calcul et augmenter le niveau d’expertise tout au long du cycle de vie de la donnée, de sa captation jusqu’à sa destruction dans le très strict respect des règles de protection de la donnée.

Le Cyber

Outils de veille, de partage de connaissance, comme de diagnostic amont ou de remédiation et d’investigation constituent une priorité pour le réseau Cybergend et ses 5300 cybergendarmes (7 000 en 2022). Les milliards d’objets connectés, véritables interfaces entre le monde physique et le cyberespace, portent en eux de très lourds enjeux tout autant que la couche sémantique de réseaux qui peuvent véhiculer des discours de haine destructeurs ou les couches plus profondes du net qui peuvent faciliter les trafics en tous genres.

L’Intelligence artificielle

Là aussi, l’humain demeure au coeur de notre vision. L’objectif est in fine l’optimisation des ressources opérationnelles pour engager la juste force publique et privilégier le contact avec la population pour la rassurer et la protéger. Pour ce faire, nous recherchons une analyse statistique et algorithmique toujours plus fine sur les espaces et moments clés de la vie locale afin que le chef opérationnel puisse orienter son action le plus efficacement possible au bénéfice de la sécurité de tous. L’intelligence artificielle doit ainsi pouvoir proposer des solutions opérationnelles pour optimiser les dispositifs et couvrir les risques, tout en laissant l’humain seul décideur et parfaitement au fait du mode de fonctionnement de l’IA qui l’assiste.

Il s’agit également d’anticiper le maintien en condition opérationnelle d’équipements lourds comme la flotte d’hélicoptère ou l’ensemble du parc automobile.

Il s’agit aussi de développer nos capacités en traitement du langage ou de vidéo intelligente pour que le gendarme converse naturellement avec son véhicule comme avec l’ensemble de ses équipements. C’est demain la mise en place d’un futur assistant numérique. Celui-ci pourra aider le gendarme – sans autre interaction physique que la parole ou le geste – à préparer la saisie d’une plainte, à rechercher la bonne information dans le cadre d’investigations ou à suivre une formation continue.

Il s’agit enfin d’accompagner le gendarme dans des tâches répétitives ou complexes (visionnage de plusieurs heures de vidéos ou recherche dans des milliers de fichiers hétérogènes) et de lui redonner ainsi du temps pour la population.

Sur ces trois derniers items, les potentialités annoncées de l’informatique quantique ouvrent des champs de progrès lourds, tant pour les capacités de déchiffrement que pour l’entraînement d’algorithmes par exemple.

La Robotique

On peut imaginer que les technologies à venir permettront de concrétiser un transport de la patrouille par drone, ou a minima d’établir au plus vite un contact en précurseur, le temps que les gendarmes rejoignent les lieux d’intervention avec… un véhicule autonome ! En effet, le véhicule de patrouille du futur prendra ses consignes en début de déplacement et permettra aux gendarmes de se concentrer sur le contact et la protection des citoyens, tout en l’alertant sur des situations de danger ou en lui proposant un nouvel itinéraire selon le contexte du moment. En outre, les robots assisteront les forces dans les interventions en zone contaminée ou polluée (accidents industriels), spécialement délicate d’accès (montagne), complexe à appréhender (multiplicité d’indices sur une scène de crime ou de catastrophe) mais également potentiellement battue par les feux de terroristes ou d’un forcené retranché. Enfin, il s’agira pour les gendarmes de maîtriser les enjeux liés à la robolution, tant en matière de responsabilité que dans les interactions du quotidien avec les machines.

L’Homme augmenté

Ce seront demain des tenues capables de s’adapter au contexte d’engagement, à la mission ou encore à la météo. Ces vêtements intelligents apporteront une protection supplémentaire capable par exemple de relayer une alerte en cas de défaillance du gendarme, de le protéger dans l’attente des secours, voire de le mettre à l’abri. Les exosquellettes portent en outre des champs de progrès attendus pour accompagner le gendarme dans des missions prolongées ou physiquement pénibles.

L’Identification humaine

De nouvelles biométrie se développent comme l’empreinte olfactive (on sait d’ores et déjà que le criminel peut laisser son odeur – unique – sur les lieux du meurtre), l’analyse vocale ou du visage mais aussi sur le portrait robot génétique. Bien évidemment, se posera la question essentielle de l’acceptabilité sociale, juridique et éthique de ces évolutions. Le débat est indispensable.

Au-delà, le transfert des technologies de pointe vers un usage global étant de plus en plus rapide, il pose la question centrale de la bonne adhésion des militaires de la gendarmerie à cette expansion technologique permanente. C’est tout l’objet d’un recrutement adapté mais aussi et surtout d’une formation initiale comme continue qui prenne en compte ces enjeux, accompagne le gendarme et promeuve l’innovation interne. C’est pourquoi la gendarmerie souhaite sensibiliser l’ensemble des gendarmes aux technologies émergentes. Les gendarmes pourront ainsi mieux appréhender leurs nouveaux outils comme identifier des situations qui pourraient être simplifiées par un apport technique en lien avec l’industrie.

Réaffirmer la prééminence de l’individu sur la machine – du bio sur la techno – et garantir aux citoyens une gendarmerie moderne mais surtout toujours profondément et intégralement humaine est au cœur des enjeux, à l’image de ce qui fait son ADN depuis près de huit siècles d’Histoire !