Le Parti de Dieu au Liban : un acteur local et régional incontournable

Le pays du Cèdre est en proie à une crise protéiforme. D’abord économique et financière, la crise est aussi politique. Basé sur un système politique confessionnel, le Liban connaît aujourd’hui une montée des contestations de cette structuration gouvernementale, héritée d’une partie des accords Taëf de 1989, qui a mis un terme à une guerre civile de quinze années. Le Hezbollah libanais, soutenu et financé par l’Iran, compte parmi les politiques majeures du pays du Cèdre. Emmanuel Macron, premier président français à s’entretenir avec un responsable du Parti de Dieu, l’a bien compris. Critiqué au sein même de la communauté chiite, le Hezbollah reste toutefois un acteur incontournable, tant au niveau local que régional.

Par Hugo CHAMPION

Quel soutien populaire du Hezbollah ?

Le Hezbollah libanais est considéré comme un mouvement de résistance au Pays du Cèdre depuis sa lutte contre l’invasion israélienne de 1982. Malgré cette aura particulière, la colère des contestataires se dirige contre l’ensemble de la classe politique, y compris le Hezbollah. Une partie des populations chiites est même descendue dans la rue pour dénoncer le système politique confessionnel qu’il accuse de clientélisme. « Le Hezbollah s’est posé en défenseur du statut quo. Il a brandi les théories conspirationnistes accusant les Occidentaux de diriger la thawra [révolution] », explique Sahar Al Attar, rédactrice en chef du magazine économique « Le Commerce du Levant ». Et de rappeler : « Aujourd’hui, le Hezbollah a tout intérêt à soutenir l’initiative française, qui redonne une chance à un système qui lui convient ». Alors que le Parti de Dieu s’affiche comme un parti antisystème, proche du peuple, son positionnement vis-à-vis des mouvements populaires démontre qu’il s’est parfaitement intégré au système clientéliste qu’il dénonce. Plusieurs faits viennent témoigner de cette réalité. Après avoir accusé l’Occident d’être à la manœuvre, le Hezbollah a mobilisé sa base de soutien pour prouver qu’il conservait une aura populaire, mais également pour intimider les manifestants. Ainsi, des membres du Parti de Dieu ont attaqué à plusieurs reprises les manifestants à Beyrouth et dans d’autres villes du pays. Ils n’ont pas hésité à menacer plusieurs personnalités et activistes de la contestation. Les régions à majorité chiites ont également été touchées par les manifestations. Des combattants du mouvement ont critiqué le positionnement du parti. La légitimité de ce dernier est contestée alors qu’elle semblait inébranlable jusque-là. Cinq journalistes du quotidien al-Akhbar, soutien médiatique traditionnel du Hezbollah, ont démissionné pour s’opposer à la ligne éditoriale du journal et à son rédacteur en chef, Ibrahim el-Amine, qu’ils accusent d’être explicitement hostiles au mouvement de contestation. « Les milices du Hezbollah peuvent représenter un danger pour les mouvements citoyens qui collaborent autour du parti politique du Bloc national », avertit Agnès Levallois, vice-présidente de l’IReMMO.

Le Hezbollah : un Etat dans l’Etat ?

L’envergure du Hezbollah lui confère une présence toute particulière au Liban, et notamment dans le sud du pays. « Il opère comme un Etat dans l’Etat en raison, précisément, de l’absence de l’Etat au sud-Liban. Il ne se voit pas comme un simple parti politique, mais aussi comme une entité sociale, politique et militaire »1, souligne l’analyste libanaise Amal Saad Ghorayeb. Le parti cultive une image de mouvement antisystème, en construisant des réseaux sociaux et humanitaires pour venir en aide aux « déshérités » dans les régions qu’il contrôle. Cependant, le parti politique a parfaitement intégré le système. Afin d’assouplir sa position face aux contestations populaires, le secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, avait assuré qu’il était prêt à s’impliquer dans la transition politique à l’œuvre : « Nous avons entendu l’appel du président français au cours de sa dernière visite au Liban à un nouveau pacte politique. Nous sommes ouverts à toute discussion constructive sur le sujet (…) mais à la condition qu’il s’agisse d’un dialogue libanais et que ce soit la volonté de toutes les parties libanaises ». Le parti saluait ainsi la démarche positive de la France qui compte le Hezbollah parmi les forces majeures du pays, pendant que les Etats-Unis félicitent les pays qui inscrivent le Parti de Dieu sur leur liste terroriste. Si le Hezbollah se dit prêt à s’impliquer dans le processus politique à l’œuvre, aucune réforme profonde sur l’architecture du système politique n’est proposée. Rien n’assure qu’il voudra renverser la table dont il tire lui-même parti depuis 30 ans. A la mi-septembre, le tandem chiite Hezbollah-Amal soulignait qu’il n’accepterait pas « le gouvernement du fait accompli », alors que ce dernier réclamait une personnalité chiite à la tête du ministère des Finances. Le chef du parti Amal et président du Parlement déplore le manque de concertation.

Le Hezbollah libanais : un acteur régional incontournable

LeHezbollah libanais, né en 1982,est le produit de l’exportation de la révolution iranienne par Téhéran. En 1982, 2 000 pasdaran (Gardiens de la Révolution) sont envoyés au Sud-Liban. Sur le plan idéologique, le Hezbollah libanais reconnaît le Vilayet Al-Faqih, l’autorité du guide suprême iranien. Bien qu’il n’existe que peu de données officielles sur le financement du parti, quelques centaines de millions par an seraient envoyés au Hezbollah par l’Iran. Le parti perçoit également une taxe – le Khoms – et bénéficie de dons privés. Véritable arme stratégique de l’Iran, le groupe libanais s’était illustré face à Israël en 2006 lors de la Guerre des Trente-trois jours, où l’offensive de l’Etat hébreu s’était soldée par un échec. Le Hezbollah a par la suite tiré profit de son engagement militaire aux côtés de Bachar el-Assad face à Daech. En effet, le parti de Dieu légitimait son intervention en Syrie en affirmant la nécessité de sauver « l’axe de résistance contre Israël » et « la cause palestinienne » face à un complot occidental, israélien et des monarchies du Golfe. L’intervention du Hezbollah en Syrie lui a permis de s’aguerrir au combat et à la stratégie militaire. Son armée compterait environ 20 000 soldats ce qui ferait du Hezbollah l’acteur non étatique le plus lourdement armé au monde. L’Allemagne vient de rejoindre en avril dernier la liste des pays qui ont inscrit le Hezbollah comme un organisation terroriste, en ne distinguant pas l’aile politique de la branche militaire. En conséquence, l’Allemagne a interdit toutes activités du Parti de Dieu sur son territoire. « La réalité politique du Liban est compliquée (…). Cela ne doit cependant pas nous empêcher de recourir aux moyens dont nous disposons en Allemagne dans le cadre de l’État de droit pour mettre fin aux activités criminelles et terroristes du Hezbollah », avait déclaré le chef de la diplomatie allemande, Heiko Mass. Paris refuse quant à lui d’aller au-delà de la décision européenne de classer comme terroriste la branche armée du Hezbollah. Mi-septembre, le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo a averti la France que « ses efforts pour résoudre la crise au Liban seraient vains si elle ne s’attaquait pas immédiatement à la question des armements du Hezbollah ». Mais Paris n’a pas les mêmes priorités que Washington, qui lui, prépare une redéfinition des alliances au Proche-Orient.

Le Hezbollah et Israël : point névralgique des tensions régionales.

La stratégie d’isolation du parti s’inscrit dans un contexte plus large de réorganisation géopolitique du Proche-Orient. Israël, appuyé par les Etats-Unis, tente d’établir une normalisation de ses rapports diplomatiques avec plusieurs puissances de la région. Le Hezbollah a sévèrement condamné la décision des dirigeants de Bahreïn de reconnaître l’existence d’Israël, considérant cet acte comme « une trahison extrême et un douloureux coup dans le dos du peuple palestinien et de sa cause ». Soutenu par l’Iran, le Hezbollah s’est historiquement construit dans son opposition frontale « aux sionistes » et dans l’aide apportée à la résistance palestinienne. Le chef du bureau politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, s’est rendu début septembre au Liban – sa première visite depuis 30 ans – pour y rencontrer Hassan Nasrallah. Les deux dirigeants ont souligné la nécessité de consolider « l’axe de résistance », alors qu’Israël a normalisé ses relations avec les Emirats arabes unis mi-août. Des tensions entre la frontière libanaise et israélienne ont été observées. Quelque 10 500 Casques bleus de la force intérimaire de l’ONU (Finul) surveillent la frontière libano-israélienne et veillent à l’application de la résolution 1701 du Conseil de sécurité adoptée après la guerre ayant opposé Israël au Hezbollah pour prévenir d’un nouveau conflit. Israël a appelé, à l’approche du renouvellement du mandat de la Finul, à une réforme de la mission qu’elle accuse de « partialité » et « d’inefficacité », car elle n’aurait pas accès à toutes les zones du sud Liban où le Hezbollah opère. Les Etats-Unis et Israël tentent plus largement de contenir le développement de l’axe Iran-Chine-Russie. Mike Pompeo a déclaré : « Les Etats-Unis sont déterminés à empêcher l’Iran d’acheter des chars chinois et des systèmes de défense aérienne russes [S-400] pour les vendre ensuite au Hezbollah (…) ». Mais Agnès Levallois s’interroge : « Peut-il y avoir une négociation plus grande entre l’Iran, la France et les USA pour lâcher un peu de lest au Liban ? »

L’avenir politique du Liban ne pourra se faire sans le Hezbollah. Mais le clientélisme confessionnel des partis ne passera plus auprès de la population. Sahar Al Attar préconise de « libaniser le parti politique du Hezbollah », mais le Hezbollah, à l’instar des autres partis n’est pas favorable à la création d’un Etat civil.

Si la pandémie de la covid-19 freine les mouvements contestataires, le ralentissement de sa propagation dans les prochains mois pourraient voir naître de nouvelles manifestations. « Les manifestants exprimeront alors leur désespoir et leur colère de façon beaucoup plus visible et significative », prévient Agnès Levallois.

1« Le Hezbollah : résistance, idéologie et politique », Confluences Méditerranée, vol. 61, no. 2, 2007, pp. 41-47.