Quand Lara-Scarlett Gervais quitte le chaos de la Syrie et après avoir voyagé pendant plus de six mois en Irak, au Kurdistan irakien, traversé les villes de Bagdad, Homs, Damas, Tartous, Mar Mussa, Qaraqosh, Palmyre, etc., toutes en grande partie détruites ; elle décide de s’engager définitivement pour la protection du patrimoine. Elle crée le projet Odyssée, soutenu par l’UNESCO, et entend créer des ponts entre l’Orient et l’Occident en connectant les enfants du monde autour du patrimoine, de la tolérance et de la paix.
C’est dans un contexte sanitaire, géopolitique et culturel sous tension, qu’elle poursuit son engagement au Pakistan.
Rencontre avec Lara Scarlett Gervais, aventurière de coeur et de paix.
Par Mélanie BENARD-CROZAT
Du voyage à la création artistique et culturelle
2016. Syrie. La destruction du patrimoine auquel assiste Lara-Scarlett Gervais fait naître un projet jusqu’ici inimaginable. « Comment aider à reconstruire son pays quand on a 10 ans et que la guerre est la seule que l’on a connu ? », « Et si le patrimoine servait de lien pour apprendre à se re-construire ? » Le projet Odyssée est né, soutenu par l’UNESCO. « Lorsque je me rends pour la première fois au temple de Bêl, l’enceinte tient encore debout. Dans un silence de mort, je fais face à ce qui était autrefois la cella, devenue un champ de colonnes en morceaux, de chapiteaux à terre, d’amoncellements de pierres beige et ocre, seul subsiste comme par enchantement le porche monumental. Le saccage des cités antiques ravagées par l’organisation de l’Etat islamique est une atteinte directe à l’Homme dans ses racines, sa mémoire, avec un seul objectif : éradiquer toute trace de civilisation. À mon sens, on ne peut pas appréhender la société actuelle sans comprendre celles du passé.»Pour celle qui a suivi des études en archéologie à la Sorbonne et à l’Ecole du Louvre, c’est au contact des populations locales avec qui elle a vécu, sunnites, chiites, ismaéliens, chrétiens, yezidis, kurdes, alaouites et bien d’autres encore, qu’elle se passionne pour l’ethnologie et la photographie. Une passion qu’elle partage aujourd’hui dans le monde entier pour sensibiliser le grand public aux dangers auxquels se trouve exposé le patrimoine mondial au travers de son association Héritage et Civilisation.
Agir pour et avec les enfants
De ce voyage est né l’envie d’agir. C’est la naissance du programme éducatif francophone Odyssée, qui a l’ambition de faire prendre conscience aux enfants du patrimoine naturel et culturel qu’ils côtoient. Nous essayons « de transmettre le patrimoine de manière vivante et pédagogique tout en promouvant fortement les valeurs citoyennes à travers les créations et échanges entre les élèves, citoyens et entrepreneurs de notre monde de demain. »
Reposant sur une approche pédagogique novatrice, le programme apprend le respect mutuel et la tolérance par le jumelage de classes de France et du monde grâce au numérique. « Les élèves sont encouragés à découvrir leur patrimoine de proximité, puis à le partager grâce aux moyens modernes d’expression qu’offre la création artistique (BD, dessin, photo, rédaction, art oratoire, vidéo, etc). En échangeant leurs réalisations par le biais d’une plateforme numérique, les élèves deviennent ambassadeurs de leur patrimoine local et perçoivent son inscription dans une réalité plus vaste : le patrimoine mondial de l’humanité. »
Odyssée agit sur la créativité, l’échange des cultures et la diversité humaine, le respect et la culture du patrimoine, la responsabilité sociale ainsi que l’ouverture sur le monde.
« Ces échanges incitent à la camaraderie, l’écoute et le respect de l’autre, la bienveillance, la tolérance aux différences. Ces expériences attisent la curiosité intellectuelle, le droit à l’expression et au sens critique, et poussent l’épanouissement en classe, la cohésion, la production écrite et la participation orale. » témoigne Lara-Scarlett Gervais. Plusieurs villes sont d’ores et déjà intégrées au programme : Limoges, Angoulême, les académies de Rennes et Nice. Cannes et Biarritz pourraient être les prochaines à rejoindre la liste. Les échanges s’effectuent ainsi avec les enfants de Casablanca, de Boston, de Villanueva de la Cañada en Espagne mais aussi depuis ce mois de janvier 2021 avec les villes Créatives Unesco : Porto novo (Bénin), Lubumbashi (Congo), Hanoï (Vietnam), Souleimaniye (Irak), et dernièrement Beyrouth (Liban).
Le Pakistan, sur la trajectoire d’Odyssée
Quand elle fait ses valises au mois de Novembre pour la capitale du Pakistan, Islamabad, Lara nous confie « ce dialogue des cultures peut aider à la construction d’un monde plus serein. C’est un enjeu majeur pour les peuples. ». C’est pour cette raison qu’elle n’a pas hésité à partir au Pakistan malgré le contexte difficile ; « je me suis rendue sur place pour aller rencontrer les acteurs locaux et la délégation UNESCO rattachée à la culture. Tous ceux qui travaillent quotidiennement à rassembler et transmettre aux jeunes générations que nous avons un héritage commun ».
Ce voyage est l’occasion de créer de nouvelles connexions entre les peuples malgré les tensions. « Aujourd’hui le repli sur soi est une menace réelle » alerte Lara-Scarlett. En plein cœur d’Islamabad, elle assiste au déchirement entre le Moyen-Orient et la France suite à nouvelle publication des caricatures de Mahomet, juste après la mort de Samuel Paty suivi des mots du Président de la République française, Emmanuel Macron.
En France, on diffuse des scènes de révoltes où l’on voit tour à tour, Pakistanais, Libanais et Afghans aller jusqu’à scander « Mort à la France ! Mort à Macron ! »
Mais Lara-Scarlett tempère « J’étais sur place. des manifestants, oui, il y en avait, des pancartes appelant au boycott français dans les souks étaient affichées de Peshawar à Karachi, en passant par Lahore et Islamabad, mais tout le Pakistan n’était pas dans la rue… seulement une minorité. J’ai rencontré des familles, des autorités, visité différents sites et échangé avec des ONG. L’accueil fut chaleureux. Les Pakistanais étaient admiratifs que je sois chez eux, et que je découvre leur pays, que je parte à leur rencontre, que je m’intéresse à leur peuple, leur culture, leur patrimoine. » et de poursuivre « En 2012, lors de la sortie de l’Innocence des musulmans qui a mis le feu aux poudres au Moyen-Orient, alors que l’ambassadeur des Etats-Unis en Libye meurt dans l’attaque du consulat à Benghazi, j’étais en Palestine et j’ai traversé le Moyen-Orient. Cette même année, la situation était identique au Pakistan. La vision proposée par les médias en est une. Il ne faut jamais oublier que tout est toujours une question de point de vue. Il est plus aisé de diviser que de rassembler. Je pense que c’est notamment dans ces moments-là qu’il ne faut pas tomber dans l’effet rechercher : la peur de l’autre. »
Un patrimoine méconnu
Une fois sur place, « j’ai découvert un patrimoine extraordinaire et surtout méconnu. Les Jardins de Shalimar, qui avant d’être un parfum célèbre, sont d’abord le nom de jardins vieux de plus de 300 ans ! Ce lieu fabuleux est situé à Lahore, à quelques kilomètres de la frontière avec l’Inde. Les jardins ont été créés par l’empereur moghol Shah Jahan qui faisait partie de l’ensemble royal avec le Fort de Lahore. » En 1981, le site a été classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Il est le symbole de l’art moghole à son apogée au XVIe et XVIIe siècle. On peut y apercevoir des touches architecturales islamique, persane, hindoue et mongole, qui donnera son nom à cette civilisation « Moghole ».
Autre joyau méconnu, la plus grande mine de sel rose d’Asie… la mine de Khewra située au sud d’Islamabad. A 800 mètres de profondeur, les 64 kilomètres de tunnels hébergent d’immenses voûtes serties de milliers de petits diamants de sel. 1 200 hommes travaillent pour en extraire chaque année 50 000 tonnes de sel. L’or blanc du Pakistan. Ce site a été découvert en 325 avant J.C. par les troupes d’Alexandre le Grand.
La grandiose nécropole Malki, dans la ville de Tattha, est un cimetière de 10 km2 abritant un demi-million de tombes et tombeaux. Des rois, reines, gouverneurs, saints, érudits et philosophes y reposent. Depuis 1981, ce lieu riche d’influences fait partie du Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Son architecture est influencée autant par le style hindoue Gujarat que le style impérial mongole.
Le peuple Kalash, du papier à la réalité
« Ce voyage fut aussi l’occasion de découvrir la culture du peuple Kalash qui habite les vallées du Nord Ouest du Pakistan, depuis plus d’un millénaire. Pour se nourrir, ils comptent essentiellement sur l’élevage et l’agriculture à petite échelle. » raconte Lara-Scarlett Gervais. Ce peuple, Hubert Maury, parrain du programme Odyssée s’en est inspiré pour sa Bande Dessinée : Fêtes Himalayennes. Un récit haut en couleurs, qui témoigne de leur mode de vie et de leur culture préservée.
La dimension humaine de la protection du patrimoine est essentielle. Le patrimoine, fruit d’une histoire collective, est un facteur de cohésion sociale. « En recentrant les populations sur ce qu’elles partagent comme histoire et traditions artistiques, il sera possible de trouver un chemin de pacification pour les pays en conflit. » ajoute Lara-Scarlett Gervais.
Lors de chacun de ses voyages, elle a pu observer de près leur culture, leur mode de vie, et souvent les difficultés liées à l’éducation et à la condition des femmes. Sans jugement, elle parle avant tout d’une belle rencontre. « Même si la faible présence des femmes m’a évidemment touchée. On a ce sentiment qu’elles sont absentes du quotidien. Enfin, de la vie en extérieur. Certaines familles m’ont ouvert leurs portes et j’ai découvert leur univers. Elles semblaient y être épanouies avec une place importante au cœur de la famille, certaines brodent, d’autres s’occupent de l’éducation, des repas et en sont fières. Je crois qu’il faut apprendre à regarder cela de leur point de vue, sans porter de jugement de supériorité qui nous fait parfois défaut en occident. Elles disaient en souriant que les mariages de raison durent toute une vie, contrairement au mariage d’amour… Que leur couple était comme une entreprise… C’est un point de vue et il mérite d’être respecté même si on ne le partage pas. En revanche, cela ne doit pas non plus faire oublier les droits des femmes. » commente Lara-scarlett Gervais.
Autre sujet de préoccupation pour Lara-Scarlett : l’accès à l’éducation. « Sur 40 enfants dans un village que j’ai visité, un seul était scolarisé. Il y a une certaine méfiance envers l’école. L’enseignement dans les médersa, les écoles coraniques, est privilégié. C’est un sujet sur lequel il y a beaucoup à faire pour améliorer les choses dans de nombreux pays du monde. » Shoaib Iqbal, fondateur de The Little Art, une ONG qui explore l’art comme moyen d’expression, oeuvre justement sur place pour que les enfants se réapproprient leur culture et leur héritage. « Comment s’y prend-il ? ateliers créatifs, festivals, expositions, mini-concours et autres manifestations qui regroupent l’art de la photographie, du cinéma, ou encore du théâtre ; L’art pour s’affirmer ! »
Irremplaçable, fragile et menacé, le patrimoine culturel est le garant de l’identité et de la mémoire des peuples. Sa sauvegarde est l’un des éléments cruciaux inhérents au processus de pacification et de reconstruction d’une société en sortie de conflit. « Cette tâche est ardue et la réalité pour une association est souvent épuisante. Trouver des fonds pour maintenir et développer nos actions est essentiel. Notre motivation est pleine, et notre dévouement aussi. Je suis intimement persuadée que le patrimoine peut constituer le fondement de la paix si les acteurs internationaux lui laissent jouer son rôle de médiateur. Le patrimoine doit rassembler les populations. Il sera un élément de paix dans l’avenir. Nous pouvons faire de la diplomatie avec la culture. Et je crois qu’il est urgent de se saisir de la question car nos sociétés sont en réelle souffrance. » conclut Lara-Scarlett Gervais.