La politique étrangère de Joe Biden, 46e président des Etats-Unis

President Joe Biden swears at the Inauguration ceremony next to first lady, Jill Biden. U.S. Capitol, Washington, D.C. , Jan. 20, 2021

Investi le 20 janvier dernier à la tête de la première puissance mondiale, lancien vice-président de Barack Obama a dressé les grandes lignes de sa politique étrangère, en soulignant dans son premier discours sur la politique internationale américaine que « la diplomatie est de retour ». Comment Joe Biden et son administration comptent édicter une politique étrangère qui se veut être en rupture avec celle de Donald Trump ? Retour sur la doctrine diplomatique du nouveau président des Etats-Unis.

Par Hugo CHAMPION

Les défis posés par lEmpire du Milieu : vers une stratégie de continuité ?

Dans la doctrine établie par le Pentagone en 2018, la Chine de Xi Jinping – ainsi que la Russie de Vladimir Poutine – étaient qualifiées de « puissances révisionnistes ». En 2020, ladministration Trump avait pris près de 200 mesures visant à lutter contre lhégémonie chinoise, dans des domaines divers comme la technologie avec notamment linterdiction de lapplication Tik Tok sur le sol américain ou encore la désignation, par le département dEtat, des Instituts Confucius comme outils de propagande du parti communiste chinois. Le nouveau chef de la Maison blanche entend faire perdurer une stratégie « ferme » vis-à-vis de la Chine affirmant, lors dun entretien avec son homologue chinois, vouloir « protéger la sécurité, la prospérité, la santé et le mode de vie du peuple américain, et maintenir la zone indo-pacifique libre et ouverte ». Concrètement, Joe Biden a exprimé « ses préoccupations fondamentales au sujet des pratiques économiques coercitives et injustes, la répression à Hongkong, les atteintes aux droits de lHomme au Xinjiang et les actions de plus en plus autoritaires menées dans la région, y compris à l’égard de Taïwan ». Lagenda est désormais établi. Le président américain vient d’annoncer la création dun groupe de travail qui devra émettre d’ici à juin des recommandations pour « cider dune direction ferme sur les questions liées à la Chine ». La nature de la politique américaine à l’égard de son concurrent chinois perdurera sous l’ère Biden. L’Europe pourrait quant à elle jouer un rôle au milieu de cette opposition agressive. Si l’administration démocrate prône un retour à l’atlantisme, l’Union européenne a récemment fait un pas de côté en signant en décembre dernier un accord sur les investissements avec la Chine. Rendez-vous donc en juin prochain pour connaître la feuille de route établie par le nouveau président.

Vers une redéfinition des relations internationales au Proche-Orient ?

Sous la présidence Biden, nous assisterons sans doute à un réexamen de la politique américaine au Proche-Orient. Premièrement, la volonté de Biden de renouer un dialogue avec l’Iran, afin d’endiguer les velléités d’acquisition du nucléaire militaire, aura des conséquences plus globales sur la région. La lutte contre les groupes terroristes se concentrera davantage sur les organisations jihadistes que sur les mouvements affiliés à l’Iran. Joe Biden a d’ailleurs retiré les Houthis de la liste noire des organisations terroristes. Le rétablissement des canaux diplomatiques avec l’autorité iranienne reste toutefois timide. Le général Kenneth McKenzie, commandant les forces américaines au Moyen-Orient, appelle à la prudence : « Je pense que c’est le moment pour que tout le monde fasse preuve de retenue et de prudence et voit comment ça se passe ».

Joe Biden a une fine connaissance d’un Orient compliqué. Il avait d’ailleurs été l’un des architectes d’une solution à trois Etats pour l’Irak en décomposition. On peut donc s’attendre à ce que la présence américaine perdure dans la zone verte de Bagdad, d’autant plus que l’influence chiite et iranienne prend de l’ampleur.

« America is back » signifie également que son rôle historique de promoteur de la paix et des droits de l’Homme sera rejoué par la présidence Biden. C’est pourquoi les Etats-Unis ont d’ores et déjà suspendu la vente d’armes au Royaume wahhabite, qualifié d’Etat « paria » par Joe Biden. Ce dernier souhaite « recalibrer les relations avec l’Arabie Saoudite » et prendre pour nouvel interlocuteur le roi Salmane, et non plus son fils, le prince héritier Mohammed Ben Salmane (MBS).

Enfin, si Joe Biden est favorable à la solution à deux Etats palestiniens et israéliens vivant côte à côte, Washington et Jérusalem – nouvelle capitale d’Israël – conserveront un lien d’exception. La normalisation des relations entre Israël et les pays arabo-musulmans revêt un caractère stratégique pour Washington qui continuera d’encourager cette redéfinition des alliances.

Quelles attentes pour le Vieux continent ?

Lattitude de la nouvelle administration américaine envers lEurope devrait ressembler à celle de Barack Obama. « Joe Biden est entouré de beaucoup de conseillers qui faisaient partie de son administration », soulignait en novembre Jeff Hawkins, ancien diplomate américain et chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS)1. La volonté de rétablir une alliance transatlantique passe notamment par le retour des Etats-Unis dans laccord de Paris sur le climat, une décision prise par Joe Biden dès le premier jour de son mandat. Le nouvel occupant de la Maison blanche affirme son engagement envers cette alliance historique en accusant Moscou dattaquer les démocraties occidentales. Il appelle les Etats européens à « se réengager dans leurs responsabilités en tant que membres d’une alliance démocratique ». Autre signe du réengagement des Etats-Unis en Europe : lannulation du retrait dune partie significative du contingent américain stationné en Allemagne. Toutefois, les exigences de Washington sur le budget de lOTAN rappelle les menaces de son prédécesseur proférées aux gouvernements européens. Le nouveau chef du Pentagone, Lloyd Austin, attend de tous les partenaires otaniens quils portent leurs dépenses militaires à 2% de leur PIB. Ce changement de cap initié par Joe Biden mettra sans doute à mal les efforts européens pour se fédérer autour d’une défense commune.

Si le changement de ton de Joe Biden bénéficiera au dialogue diplomatique, il nen demeure pas moins quun retour des Etats-Unis en tant que leader hégémonique, dans un monde où les conflits et les menaces protéiformes ne cessent de croître, comprendra son lot de dangers pour les intérêts et la souveraineté de la France et de lEurope.

La souveraineté numérique européenne mise en péril ?

La Commission européenne estime que le volume mondial des données devrait augmenter de 530 % d’ici 2025. On comprend, d’autant plus en cette période de pandémie où les cyberattaques ont explosé, que la cybersécurité se posera comme l’un des défis majeurs de la présidence Biden. Ce dernier déclarait que son « administration fera de la cybersécurité une priorité absolue à tous les niveaux de gouvernement ». Les efforts des Etats-Unis s’inscrivent dans un contexte de méfiance absolue vis-à-vis de la Russie et de la Chine. Le poste de conseiller adjoint à la sécurité nationale pour la cybersécurité et les technologies émergentes a d’ailleurs été crée par la nouvelle administration. Les Etats membres de l’Union européenne devront donc veiller à conserver leurs efforts en matière de souveraineté dans le champ du numérique et de la cybersécurité. Signe encourageant, la Commission européenne a présenté fin février son plan d’action sur les synergies entre les industries civiles, spatiale et de la défense. L’objectif est de ne pas être relégué derrière la Chine et les Etats-Unis.

Mais l’Europe se protège plus qu’elle ne s’impose. L’Union européenne a proposé des régulations de l’espace numérique avec le Digital Service Act (DSA) et le Digital Market Act (DMA). « Ces réglementations ne suffiront pas à transformer l’ordre mondial dans ce secteur », estime Bruno Breton, co-fondateur et CEO de Bloom, entreprise spécialisée dans l’analyse des réseaux sociaux. Et d’ajouter : « Pour provoquer un changement profond, il faut présenter des alternatives. Je ne comprendrais pas qu’il n’y ait pas dans les années à venir une alternative européenne sur ce marché-là, comme un Airbus face à Boeing. Dans tous les secteurs d’activité, il y a des alternatives européennes sauf dans le secteur des nouvelles technologies »2.

La France et l’Union européenne devront donc trouver l’équilibre entre une coopération transatlantique bénéfique et une autonomie stratégique garantie.

2 Interview de Bruno Breton, co-fondateur et CEO de Bloom, sur FrenchWeb, le 23 février 2021.