Vertiges migratoires au Mexique

Andres Manuel Lopez Obrador take oath as New Mexican President during the ceremony of 65th Mexico Presidential Inauguration on December 1, 2018 In Mexico City

En attendant d’obtenir les autorisations nécessaires pour rejoindre les Etats-Unis, plus de 80 000 personnes se trouvent actuellement bloquées dans la région de Chiapas. Le Mexique est pris en tenaille entre la pression politique exercée par son voisin et l’afflux massif d’émigrés provenant du sud, plongeant le pays dans la plus intense crise migratoire de son histoire.

De fortes pressions aux frontières

Au nord comme au sud, les frontières mexicaines subissent une pression exceptionnelle. Les « caravanes » ou regroupements massifs de migrants voyagent traditionnellement de la région de Chiapas, limitrophes au Guatemala et Belize, jusqu’aux portes des Etats-Unis afin d’y obtenir une vie meilleure. Celles-ci sont composées de personnes d’origine haïtienne, vénézuélienne, congolaise, camerounaise ou encore cubaine. Au début de son premier mandat, le Président Andrés Manuel López Obrador (AMLO) décida d’attirer africains et centroaméricains pour recomposer la main d’œuvre d’un sud-est mexicain déserté et paupérisé. Le chef d’Etat proposa alors plus de 12 500 permis de travail et de résidence d’une durée d’un an dès janvier 2019. Sous la pression de Washington, López Obrador dut renoncer à ce projet de développement économique pour se tourner vers une action sécuritaire visant à contrôler les flux migratoires en direction de la frontière étasunienne. En 2021, les patrouilles frontalières nord-américaines ont appréhendé le nombre historique de plus de 1 331 000 migrants en plein contexte de crise sanitaire1. Depuis mars 2019, le gouvernement a fermé les offices de l’immigration après qu’un groupe de cubains ait tenté d’y pénétrer par la force. Les demandeurs d’asiles se trouvent désormais immobilisés dans la ville de Tapachula, étant légalement obligés d’y rester sous peine de ne pas pouvoir obtenir les précieux visas. Le Président justifia ce revirement en affirmant lutter contre le trafic de personnes orchestré par le crime organisé. Ce dernier blâma le flegme des Etats-Unis pointant que son voisin ne lui apportait aucune aide financière pour endiguer la pauvreté au Mexique, cause première de cette situation selon le président mexicain. La gestion de la pandémie a relégué la gestion de l’afflux migratoire au second plan, pendant que s’aggrave chaque jour un drame humain sans précédent.

Une crise humanitaire historique

En deux ans seulement, la crise est devenue hors de contrôle. La foule de migrants s’est installée durablement à Tapachula, à défaut d’une alternative au statu quo migratoire et administratif. L’absence d’infrastructures décentes d’accueil et la faim les poussent à fuir de la zone pour trouver du travail ailleurs tandis que leur nombre grandit chaque jour. Il atteint 80 000 personnes pour une ville de 340 000 habitants, alimentant une culture de la haine envers les migrants et cela qu’importe leur nationalité2. En janvier 2019, l’administration Trump instaura la politique du Remain in Mexico immobilisant également les demandeurs d’asiles sur le territoire mexicain dans l’attente de leur jugement par la Cour d’immigration. Son article 42 prévoit une politique d’expulsion vers le Mexique ou leur pays d’origine pour les personnes présentes sur le sol américain. Depuis mars 2020, plus de 618 000 déportations ont été enregistrées sous cette loi, supposée s’appliquer seulement durant la pandémie3. Retirée par le Président Joe Biden, elle sera réintroduite prochainement après une décision de la Cour Suprême. Certains affirment que le mur de Donald Trump, promesse phare de sa campagne en 2016, existe déjà dans le sud du Mexique. L’ancien leader républicain fustigea à de nombreuses reprises les migrants, les décrivant comme des criminels en puissance. A Tapachula, la même logique s’applique chez les résidents qui subissent également les affres de ce désastre. Frustrés et désespérés, des centaines de cubains et haïtiens décidèrent de sortir du territoire au péril d’affrontements sanglants avec la Guardia Nacional de López Obrador. Celle-ci s’est notamment illustrée par le renvoi de plus de 496 000 sans papiers dont au moins 300 000 d’entres eux ont effectué le retour dans leur pays d’origine en 20194. Les forces de sécurité ont mobilisé plus de 50 véhicules militaires ainsi que plus de 14 000 unités pour contrôler environ 650 kilomètres de frontières séparant Chiapas du Guatemala. Cette réponse militariste est insuffisante pour remédier à la maladie, l’insécurité et l’incertitude auxquels s’exposent quotidiennement les migrants, alors que les cartels prospèrent grâce à ce chaos politico-social.

Une aubaine pour le crime organisé

Ces « caravanes » de migrants empruntent les routes traditionnelles pour atteindre les 3 000 kilomètres de frontières entre les Etats-Unis et le Mexique. Tapachula en est une étape bien connue et désormais au cœur d’une tragédie humanitaire. D’autres nœuds migratoires pourraient également connaître le même sort à l’instar des itinéraires Ceibo-Tenosique traversant la région de Tabasco ou Bethel-Corozal, tous deux à proximité du Guatemala. Ces parcours alternatifs voient se superposer trafics migratoires et illégaux, renforçant in fine les réseaux criminels transnationaux. Ces derniers sont essentiels pour traverser le pays car ils représentent une structure de soutien pour les migrants défavorisés et isolés. Connaissant et contrôlant 30 à 35% du territoire national, cela leur donne un rôle direct dans la gestion des exodes d’étrangers5. Le pays traverse également une période de violence inouïe ouverte par les élections du 6 juin 2021, où 143 hommes et femmes politiques ont trouvé la mort durant la campagne. Le crime organisé semble omniprésent à l’intérieur de cette « Mafiocratie » mexicaine, notamment à cause de sa collusion avec la sphère politique et industrielle6. Les CártelJalisco Nueva Generación ou celui de Sinaloa forment une source permanente d’instabilité et d’insécurité contre lesquels les gouvernements mexicains ont mené plusieurs « guerres » contre la drogue. En vain, jusqu’à présent. Ces cartels sont responsables de kidnapping aux frontières pour réclamer des rançons aux familles, de pléthore d’extorsions, viols, trafics d’êtres humains autant que de corruption des agents locaux. Depuis janvier 2021, plus de 6 350 attaques violentes à l’encontre des migrants ont été enregistrées par l’association Washington Human Rights First. Les caravanes sont également les victimes d’agressions sexuelles et des risques liés à la crise sanitaire. Près de 20% des personnes déportées au Mexique ont contracté le virus. Dans ce contexte, le Président López Obrador prôna la pacification de la société en scandant « abrazos, no balazos » (des accolades, pas des balles) durant son élection. Son administration a relâché alors son effort de lutte contre les cartels pour réduire le nombre d’homicides qui culmine au nombre de 100 par jour sur les trois dernières années. Enfermés à Chiapas, les migrants n’ont donc d’autres options que d’attendre et espérer un départ rapide tout en essayant de survivre aux défaillances étatiques et à la violence du crime organisé.

1 Carlos Barrachina, El bloqueo migratorio en México fortalece al crimen organizado, https://latinoamerica21.com/es/el-bloqueo-migratorio-en-mexico-fortalece-al-crimen-organizado/ , 13 septembre 2021.

2 Elena Reina, « La frontera sur de México es una olla a presión », El País, 19 avr. 2019p.

3 Title 42 deportations cause dire humanitarian consequences on Mexico’s northern border, https://www.doctorswithoutborders.org/what-we-do/news-stories/news/title-42-deportations-cause-dire-humanitarian-consequences-mexicos.

4 Elena Reina, La desesperación migrante choca contra el dique de Tapachula, https://elpais.com/mexico/2021-08-31/la-desesperacion-migrante-choca-contra-el-dique-de-tapachula.html , 31 août 2021.

5 Human Rights Watch, « Mexico: Events of 2020 » dans , s.l., 2020, p.

6 « Le Mexique sous l’emprise tentaculaire de la mafiocratie », Le Monde.fr, 16 juill. 2021p.