La Lituanie, victime de la guerre économique chinoise ?

Les foudres chinoises sont tombées sur la Lituanie, notamment à la suite de son rapprochement diplomatique avec Taïwan. Une pluie de sanctions économiques s’est alors abattue sur le petit pays balte, se voyant temporairement rayé du registre douanier de son opposant. Face à la stratégie de coercition chinoise, l’UE est-elle en mesure de protéger ses Etats membres ?

Par Geoffrey Comte

Un casus belli diplomatique

En mai 2021, le pays balte frappe sur deux points sensibles. Il quitte abruptement le format de négociations « 17+1 » né en 2012, réunissant la plupart des pays d’Europe centrale et orientale1. Il s’agit d’une plateforme de développement et de négociations formant la pierre angulaire de la politique européenne de la Chine. Dans le même mois, le Parlement lituanien qualifie de crime contre l’humanité le traitement des Ouïghours sur le sol chinois. Le point de non-retour est néanmoins franchi en août après l’annonce de créations de bureaux de représentation entre la Lituanie et Taïwan. Cet épisode devient immédiatement le point nodal du conflit en remettant en cause le principe d’une « Chine unique », où Taïwan fait partie intégrante de l’empire du Milieu. Semblable à une ambassade, un bureau de représentation est ouvert à Vilnius le 18 novembre en mentionnant spécifiquement Taïwan. Un détail qui provoque un bond au sein du gouvernement chinois puisqu’il est d’usage de ne mentionner que le nom de sa capitale Taipei pour éviter tout casus belli. L’ambassadeur lituanien est rétrogradé au rang de chargé d’affaires en guise d’avertissement. « Le gouvernement lituanien doit assumer toutes les conséquences qui en découlent » tonne alors le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Zhao Lijian, lors d’une conférence de presse le 23 novembre 20212. En décembre, la Chine est accusée d’avoir effacé la Lituanie de ses registres douaniers ce qui rend de facto impossible les échanges commerciaux entre les deux nations. Certaines cargaisons se retrouvent donc bloquées aux douanes, allant directement à l’encontre des règles du commerce international. Vient ensuite le retrait des accréditations des diplomates lituaniens pour les forcer à quitter le territoire. La Lituanie rétorque par le boycott des Jeux Olympiques d’hiver qui se dérouleront à Pékin début février3. La Chine décide in fine de rétropédaler face aux pressions occidentales et à la menace d’une condamnation pour non-respect du cadre de l’OMC.

Le doux commerce à la chinoise

Si Montesquieu théorisa l’adoucissement des mœurs par le commerce entre les nations, les pratiques commerciales de Pékin montrent quant à elle la violence de la guerre économique. La Chine s’inspire notamment des méthodes de sanctions extraterritoriales étasuniennes, à l’instar du vin français ciblé par l’ancien président Donald Trump. Après avoir demandé une enquête sur l’origine de la Covid-19, l’Australie s’est vu imposer une série de sanctions sur de nombreuses matières premières. L’ambassade avait alors donné une liste de 14 griefs à la presse nationale pour dénoncer l’interdiction de Huawei sur le réseau 5G en 2018 ainsi que des blocages d’investissements chinois dans l’économie australienne4. Le délistage douanier de la Lituanie reste cependant un épisode inédit. La Chine a toujours visé des biens et services précis pour influencer la balance commerciale de ses partenaires. Elle inaugure désormais une façon plus extrême de préserver son « intégrité territoriale chinoise et la souveraineté nationale » à l’étranger. Elle témoigne d’une stratégie de coercition économique agressive, en contournant les règles de l’OMC pour imposer son hégémonie politique. Une plainte devant cette institution envers la Chine pourrait prendre des années avant d’aboutir à un résultat, provoquant l’ire de l’Union européenne. Les exportations lituaniennes représentent 357 millions de dollars alors que le pays balte importe pour 1,3 milliard de dollars depuis la Chine, notamment en équipements électroniques5. L’objectif de cet manœuvre n’est donc pas un gain économique mais plutôt de prendre le pouls de la solidarité européenne, jugée insuffisante face aux puissances américaines et chinoises.

La petite Chine d’Europe

La pandémie a soulevé la fragilité des chaines d’approvisionnement mondial ainsi que notre dépendance productive envers la Chine. Dans une logique de relocalisation des usines en Europe, la Lituanie cherche à se positionner comme une « petite Chine »6. Le ministre de l’Economie lituanien a proposé un plan d’investissement pour attirer les capitaux étrangers à hauteur de 21 millions d’euros en 2020. Le pays souhaite devenir un concurrent direct de la Chine sur les secteurs de l’automobile ou du médical et prône un environnement fiscal favorable aux entrepreneurs. Cette ambition explique en partie le rapprochement commercial entre une Lituanie productrice de technologie et un exportateur de semi-conducteurs tel que Taïwan. En guise de soutien face à la Chine, Taipei a lancé plusieurs fonds d’investissements à hauteur de 200 millions au bénéfice de Vilnius. Les tensions entre la Lituanie et l’empire du Milieu apparaissent dans un contexte où l’UE cherche à mettre en place des mesures anti-coercitives7. La Commission européenne a présenté le 8 décembre dernier un ensemble d’instruments en vue de dissuader les grandes puissances d’appliquer impunément des sanctions aux membres de l’Union. Ces contremesures pourraient voir le jour dans un futur proche alors la guerre économique chinoise se nourrit des dissensus européens.

Le cas de la Lituanie illustre les effets de l’agressivité de la stratégie de coercition chinoise pour imposer son hégémonie et mettre sous silence les oppositions. Face à cette menace, le pays balte poursuit sa quête d’indépendance en s’opposant frontalement au géant chinois. Cette confrontation pourra-t-elle accélérer la prise de conscience de la nécessité de réconcilier politique étrangère et commerciale au niveau européen ?

1 Jérémy André, Chine-Lituanie, la nouvelle guerre froide, https://www.lepoint.fr/monde/chine-lituanie-la-nouvelle-guerre-froide-08-12-2021-2455799_24.php , 8 décembre 2021.

2 Consulate-General Of The People’s Republic Of China In Sydney, http://sydney.china-consulate.org/eng/xwdt/202111/t20211123_10451858.htm.

3 « La guerre hybride de la Chine contre la Lituanie et l’Union européenne », Le Monde.fr, 23 déc. 2021p.

4 China threatens Australia over Victoria Belt and Road Initiative, media bias, https://www.smh.com.au/world/asia/if-you-make-china-the-enemy-china-will-be-the-enemy-beijing-s-fresh-threat-to-australia-20201118-p56fqs.html, (consulté le 20 janvier 2022).

5 « La Lituanie, pays test pour la stratégie de coercition économique de la Chine en Europe », Le Monde.fr, 6 janv. 2022p.

6 Industrie. La Lituanie, nouvelle petite Chine d’Europe ?, https://www.courrierinternational.com/article/industrie-la-lituanie-nouvelle-petite-chine-deurope , 20 mai 2020.

7 Alexandra Brzozowski et Janos Ammann, La Commission européenne présente un nouvel instrument visant à décourager les guerres commerciales, https://www.euractiv.fr/section/commerce-industrie/news/la-commission-europeenne-presente-un-nouvel-instrument-visant-a-decourager-les-guerres-commerciales/ , 9 décembre 2021.