La guerre en Ukraine, accélérateur de l’indépendance européenne

Lors d’un appel aux parlementaires français le 23 mars dernier, le président Volodymyr Zelensky a appelé à ce que « les entreprises françaises [quittent] le marché russe. Renault, Auchan, Leroy Merlin et autres doivent cesser d’être les sponsors de la machine de guerre russe […]. Le monde entier se souviendra que les valeurs valent plus que les bénéfices »1. Les politiques commerciales et industrielles sont aussi des affaires géopolitiques. Les effets de la guerre en Ukraine ressemblent à un scénario analogue au choc pétrolier de 19732. Même si l’année 2021 est marquée par le retour à la croissance, celle-ci a vu se multiplier les pénuries de matières premières et le freinage des flux logistiques à cause du maintien des restrictions sanitaires et du manque de main-d’œuvre.

Pour les industries européennes, l’invasion de l’Ukraine a produit de nouveaux chocs d’offres et a dévoilé notre dépendance aux importations russes au grand jour. En réaction, la Commission européenne a proposé son nouveau plan nommé REPowerEU afin de sortir de notre consommation d’énergies russes.

Par Geoffrey Comte

Un révélateur de nos dépendances

La France possède le deuxième stock d’Investissement Direct à l’étranger (IDE) en Russie, à hauteur de trois milliards d’euros en 2019. Ce dernier concerne en premier lieu les secteurs de l’énergie et de la construction automobile, représentant respectivement 58% et 3% des IDE français en 20203. L’entreprise Renault en est la principale bénéficiaire, détenant plus de 30% des parts du marché russe. La firme s’est récemment retirée de Russie, en transférant plus de 2,2 milliards d’euros d’actifs au Kremlin4.

En 2018, la part des intrants russes au sein de la demande finale consommée par l’industrie manufacturière s’élève à seulement 1,7%. La France apparaît a priori relativement indépendante de la Russie. Pourtant, il faut considérer le risque systémique de l’augmentation du prix du gaz et la perspective d’un scénario type crise pétrolière de 1973. Entre 2020 et 2021, le cours du gaz naturel européen a dépassé le seuil des 140 euros le mégawattheure, soit une explosion de 500% en un an5. La reprise économique a donc entraîné une hausse des prix de l’énergie et une augmentation des coûts des intrants sur les chaînes d’approvisionnements internationales. La Russie fournit environ 48% du gaz naturel, pour un total de 155 000 milliards de m³, et 25% du pétrole importés de l’Europe6. La France en importe 17%. Mais, outre-rhin, 65% des importations de gaz arrivent de Russie, et en tant que premier partenaire commercial de la France, cela se reporte sur les prix des producteurs nationaux.

L’économie française dépend aussi fortement des métaux russes. Le 4 mars dernier, le prix du nickel a également explosé de 55 000 dollars à 100 000 dollars la tonne, soit un bond de 90% de sa valeur en une seule journée7. Ce métal de transition est essentiel pour l’industrie automobile tout comme le titane russe l’est pour le secteur stratégique de l’aéronautique française, en couvrant 40% de ses besoins. Les industries métallurgiques européennes voient 80% de leur aluminium importé provenir de la firme russe Resal, basé en Irlande8. Or, l’absence de produits de substitution pourrait devenir handicapante pour les industries européennes si les sanctions économiques venaient à viser ces secteurs, aggravant les pénuries de matières premières.

Un agenda européen pour sortir de la dépendance et la naïveté ?

Ce 18 mai, la Commission européenne a présenté un plan ayant pour objectif d’assurer la sécurité d’approvisionnement ainsi que l’indépendance énergétique de l’Union. Ce plan de transition rapide pour « réerginiser » l’Europe devrait atteindre les 300 milliards d’euros, issus de fonds déjà existants9. Cette stratégie repose sur quatre piliers : la réduction de notre consommation d’énergie, la promotion de l’économie verte, la substitution du gaz russe par d’autres combustibles fossiles et la mise en place d’infrastructures énergétiques10. La Commission projette de se passer des énergies fossiles russes à hauteur de 70% avant la fin de l’année et complètement en 2027. Combiné à Fit for 55, ce paquet législatif cherche à diminuer notre dépendance d’au moins 155 milliards de m³, soit la totalité des importations russes,au travers d’une décarbonisation accélérée via l’essor du biométhane, issu des déchets agricoles, en vue d’une économie de 35 milliards de m³ et la recherche de nouveaux fournisseurs11. A court-terme, cette dernière souhaite organiser une plateforme d’achat groupé de Gaz naturel liquéfié (GNL) et une politique européenne de stockage du gaz, sur la base du volontariat, en ciblant les Etats-Unis, la Norvège, le Qatar ou encore l’Algérie. Pour tenir les engagements du Pacte vert, l’objectif climatique passe de 40 à 45%, celui de l’efficacité énergétique augmente de 9 à 13% et le nombre de panneaux photovoltaïques sera doublé d’ici 2030. Dans les prochaines décennies, plus de 35 millions de bâtiments seront aussi rénovés pour un budget de 66 milliards en vue d’améliorer leur isolement thermique.

A l’heure où se discute également un sixième paquet de sanctions contre la Russie, ce paquet législatif de la Commission sera débattu au Parlement et au Conseil de l’Europe. Mais, la question du mix énergétique et d’un embargo complet sur les importations russes demeurent des questions épineuses entre les Etats-membres. La visite d’Ursula von der Leyen en Hongrie témoigne de cette volonté de dépasser les divisions politiques grâce à l’indépendance énergétique européenne. Qu’en restera-t-il au moment de la ratification ?

1 Ukraine : REPLAY. Le discours de Volodymyr Zelensky devant les parlementaires français, https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/ukraine-volodymyr-zelensky-s-adresse-aux-parlementaires-francais-un-evenement , 23 mars 2022.

2 Fatmatül Pralong, « La guerre en Ukraine peut-elle déboucher sur un scénario à la 1973 ? », The Conversation, p.

3 Sonia Bellit, « Ukraine : un nouveau choc pour l’industrie française », La Fabrique de l’industrie, laboratoire d’idée, 12 mai 2022p.

4 Lionel ann, « En Russie, Renault transfère ses actifs à l’Etat », Les Echos, 16 mai 2022p.

5 Vincent Collen, « Les prix du gaz poursuivent leur folle envolée », Les Echos, 6 oct. 2021p.

6 Romain Imbach, « Quel est le niveau de dépendance des pays européens au gaz et au pétrole russe ? », Le Monde.fr, 11 mars 2022p.

7 David Fickling, « Five Things to Know About Nickel’s 90% Price Surge », Bloomberg.com, 8 mars 2022p.

8 S. Bellit, « Ukraine », art cit.

9 Ariane Tyché, « RePower EU, le plan de bataille de l’UE pour gagner en indépendance énergétique », 18 mai 2022p.

10 Zosia Wanat et America Hernandez, « Brussels spells out plan to end dependence on Russian energy », POLITICO, 18 mai 2022p.

11 REPowerEU : action européenne conjointe en faveur d’une énergie plus abordable, plus sûre et plus durable, https://france.representation.ec.europa.eu/informations/repowereu-action-europeenne-conjointe-en-faveur-dune-energie-plus-abordable-plus-sure-et-plus-2022-03-08_fr , 8 mars 2022.