Ambitions et réalités du programme spatial iranien

L’Iran renoue avec son identité politique révolutionnaire sous l’impulsion des Pasdarans – connus également sous le nom de Gardiens de la révolution, bras armé de l’Ayatollah Ali Khamenei – et du président Ebrahim Raïssi, ultra conservateur. Celui-ci s’est fixé comme priorité la revitalisation du programme spatial iranien. Un objectif poursuivi avec une vigueur et une conviction similaires à celles de Mahmoud Ahmadinejad au tournant des années 2010. Entre ambitions, propagande, limites et réalités, le programme spatial iranien reste difficile à lire et cartographier.

Par Alexandre Guichard

L’arrivée au pouvoir d’Ebrahim Raïssi en août 2021 et la reprise en main idéologique du régime1 coïncident avec la relance du programme spatial iranien. Le nouveau président a réuni, en novembre 2021 et pour la première fois depuis 10 ans, le « Supreme Council of Space ». Il s’est engagé à atteindre l’orbite géostationnaire en 2026, fustigeant l’action de son prédécesseur Hassan Rohani dans le domaine. Téhéran s’est doté d’un calendrier de lancement allant jusqu’à mars 2023, soit la fin de son année calendaire. Le régime a annoncé avoir sept satellites domestiques en construction ou prêts au lancement2, tous avec des objectifs civils et scientifiques.

L’espace, terre de puissance et de prestige

L’Ayatollah Ali Khamenei a baptisé l’année 14013 : « The Year of Knowledge-Based Production and Job Creation »4. L’économie de la connaissance est donc érigée en priorité, alors même que le programme spatial iranien incarne une quête de prestige et de puissance s’inscrivant dans le modèle d’auto-suffisance ambitionné par Téhéran, qui souhaite être l’égal des pays les plus avancés dans la connaissance. Clément Therme, chercheur associé à l’Institut international d’études iraniennes, pointe du doigt une dichotomie entre ces « ambitions grandiloquentes du régime » et la « vie quotidienne des citoyens ». Pour lui, « le spatial est l’émanation de la déconnection des élites. La population demande et souhaite un rééquilibrage entre la quête du pouvoir et du prestige poursuivie par le gouvernement et les nécessaires développements économiques et sociaux. Il y a donc un déséquilibre dans la propagande menée par le régime sur le spatial, même si aucun citoyen n’est contre le développement du programme spatial iranien ou l’obtention des meilleures technologies dans le pays ».

Les autorités cherchent à développer et rendre usuel l’envoi de satellites en orbite basse, améliorer les capacités de leurs lanceurs et de leurs satellites et construire un site de lancement dans le port océanique de Chabahar. Le discours iranien est bien rodé. Selon Téhéran, l’espace est un lieu de développement économique et scientifique avant tout et la composante militaire et stratégique fait figure de seconde zone. Philippe Boissat, fondateur de 3i3s Europa, pointe les similitudes entre le discours iranien sur le spatial et celui sur le nucléaire : « C’est du copier-coller. L’Iran défendait son nucléaire civil en mettant en avant sa volonté d’être indépendante et auto-suffisante sur le plan énergétique, avant de se tourner ensuite vers l’armement. Or, les premiers lancements spatiaux des Pasdarans (Noor-1 et Noor-2) sont des satellites militaires ».

Des objectifs militaires ?

En effet, la branche aérospatiale des Pasdarans est sortie de l’ombre en avril 2020 lorsque, sans prévenir, elle est parvenue à lancer un satellite d’observation militaire intitulé Noor-1, grâce au tout nouveau lanceur Qased de conception nationale. Cet événement a été suivi par le lancement de Noor-2, en mars dernier, depuis la base de Shahroud, dans le désert iranien. Un site en pleine expansion où de nombreux bâtiments sont récemment sortis de terre5. Aujourd’hui, le programme spatial perse est articulé autour de deux branches, l’une sous l’autorité des Pasdarans, à visée purement militaire et l’autre sous le contrôle de l’Etat, aux objectifs duaux6. La relation entre ces deux structures oscille entre coopération et compétition.

Surtout, les concomitances entre missiles intercontinentaux et programme spatial sont claires. Philippe Boissat explique : « Aujourd’hui, dans les programmes spatiaux, les lanceurs sont des missiles de croisière, c’est le vrai sujet pour l’Iran, qui veut faire passer un message sur son armement sous couvert de programme spatial ». Les Pasdarans ont testé un nouveau lanceur de satellites en 2021, nommé Zoljanah et « composé de deux étages de propulsion solide et d’un seul liquide »7. Or, les propulseurs solides sont une technologie essentielle au développement de missiles intercontinentaux. Si pour l’heure, le régime iranien s’est auto-imposé une limite à 2 000 kilomètres pour la portée de leurs missiles, le lancement de Zoljanah sous-tend la capacité de tirer à 5 000 kilomètres sur une trajectoire balistique8. Si ces développements peuvent inquiéter, Téhéran les justifient par sa volonté de rompre avec « l’apartheid technologique occidental » selon Clément Therme. Et de développer : « Le régime a une identité révolutionnaire dans laquelle la conquête des technologies est primordiale. Et le spatial est une de ces technologies à acquérir pour faire la compétition avec les « puissances impérialistes » qualifiées de « puissances arrogantes » » à Téhéran.

Conséquences sur la sécurité occidentale

A Washington comme à Paris, on condamne ces lancements perses que l’on associe à une volonté de renforcer ses compétences dans le domaine des missiles balistiques. Or, l’Iran dispose de l’arsenal balistique le plus étoffé du Moyen-Orient et d’une forme de suprématie sur le théâtre régional dans cet aspect, certes à nuancer par la présence d’Israël et des Etats-Unis.

Cela peut-il remettre en cause les pourparlers sur le nucléaire iranien ? « La France considère que le balistique fait partie du premier JCPOA, mais les interprétations juridiques diffèrent. Je pense que l’on va conserver ces ambiguïtés. L’interprétation est fondée sur l’intention. Les missiles sont-ils conçus pour porter des têtes nucléaires ou non ? La France estime que oui, l’Iran estime que non. Or, il est très difficile de prouver une intention. Dans le spatial, le balistique et ces technologies à double usage il existe une crise de confiance profonde entre l’Iran et l’Occident, avec des récits antinomiques représentant des champs de confrontation » décrypte Clément Therme.

Téhéran s’appuie sur des transferts de technologie pour développer ses programmes balistique et spatial. Un rapport de l’ONU indiquait également en février une coopération entre l’Iran et la Corée du Nord dans le domaine balistique9. « L’Iran essaie de se forger une place dans l’écosystème à coups de millions et collabore avec ceux qui le souhaitent, c’est-à-dire, les Russes, et de plus en plus les Chinois. Pour autant, l’avenir spatial de l’Iran est dans les mains de Washington » analyse Philippe Boissat. Et de poursuivre : « Il est possible de faire un parallèle avec l’Inde. Il y a les cerveaux, la main d’œuvre, l’argent mais je ne crois pas en la stratégie. Aujourd’hui, l’Iran n’existe pas sur le plan spatial. Il ne peut être qu’un utilisateur de certaines technologies ».

Pour rompre avec cet état de fait et matérialiser ses ambitions, la route sera longue. Surtout, la dynamique actuelle à Téhéran pose question. Se dirige-t-on vers une reprise en main sur programme spatial iranien par les Pasdarans, aux velléités militaires claires, s’inscrivant dans la reprise en main idéologique du régime actuellement en cours ?

1 Malbrunot Georges, (2022), « L’Iran retourne au régime révolutionnaire », Le Figaro.

2 Islamic Republic News Agency (Mai 2022), « Iran has 7 satellites under construction or ready for launch »

3 C’est l’équivalent d’une année allant du 21 mars 2022 au 21 mars 2023 pour le calendrier grégorien.

4 Carmi Omer, (2022), « Khamenei Declares His New Year’s Resolutions for Iran », The Washington Institute for Near East Policy

5 Krzyzaniak John, (Octobre 2021), « Iran’s Military Space Program Picks up Speed », Newsline Institute for strategy and policy

6 Lamson Jim, Lewis Jeffrey (2021), « Iranian president Raisi’s renewed emphasis on space is likely to create new tensions », War On the Rocks

7 Le Figaro avec AFP (2021), « L’Iran teste un nouveau lanceur de satellite ».

8 Krzyzaniak John, (Octobre 2021), « Iran’s Military Space Program Picks up Speed », Newsline Institute for strategy and policy

9 Brookes, Peter, and James Phillips. « The Growing Danger of Iran’s Missile Programs. » Heritage Foundation Backgrounder 3605 (2021).