Industrie de défense : la Lituanie veut s’imposer sur la scène européenne 

La guerre entre l’Ukraine et la Russie a des conséquences désastreuses. Mais elle est aussi une impulsion pour certains pays à se doter d’une industrie et d’une stratégie de défense plus solide. Cernée par des alliés russes, la Lituanie développe ses capacités technologiques depuis plusieurs années, avec l’appui de l’Union européenne.  

Par Lola Breton  

Coincée entre l’enclave russe de Kaliningrad et la Biélorussie, la Lituanie s’inquiète. L’invasion de l’Ukraine par les forces russes de Vladimir Poutine, en février 2022, n’a fait qu’accélérer un mouvement déjà entamé. Depuis 2014 et la résurgence du conflit entre Moscou et Kiev, Vilnius s’active pour renforcer sa défense. Il faut dire que, si la présence militaire russe à sa frontière occidentale était là depuis longtemps, la perspective d’être coincée au milieu d’un conflit majeur a de quoi faire peur à la petite nation balte. Il fallait prendre des mesures. Et notamment renforcer l’industrie du pays au moins de 3 millions d’habitants. En 2018, déjà, le budget de la défense lituanien avait dépassé le milliard de dollars. Il n’a cessé de grossir depuis. Cette année, le gouvernement a même accordé une rallonge de près de 98 millions d’euros à ce budget devenu essentiel. C’est désormais officiel : la Lituanie atteint l’objectif affiché par l’OTAN de dédier 2 % du PIB de chacun de ces membres aux dépenses liées à la défense.  

Une intégration progressive dans la production industrielle européenne 

La Lituanie n’a pas eu à essuyer d’attaques directes sur son sol depuis le début du conflit russo-ukrainien. Mais la guerre informationnelle et les tentatives de propagande de la part du Kremlin y font diablement rage. Si la société civile et le gouvernement se sont immédiatement positionnés en faveur de l’Ukraine, comme la majorité des membres de l’Union européenne, les industriels, eux, redoublent d’effort pour s’imposer comme des acteurs clés de la défense du continent. « D’abord, en 2014, nous avons commencé par augmenter notre budget de défense pour acquérir des technologies européennes et nous étoffer. Maintenant, nous en sommes au point où nous pouvons participer à l’effort industriel. C’est le cours naturel des choses », résume Tomas Žalandauskas, directeur général du Baltic Institute of Advanced Technology (BPTI), un institut de recherche orienté vers les hautes technologies.  

BPTI est l’un des instituts lituaniens qui se chargent de penser et développer de nouvelles technologies industrielles, notamment à destination du secteur de la défense. « Nous travaillons sur les composants des semi-conducteurs à travers l’initiative européenne qui vise à pouvoir produire les composants en Europe et fabriquer nos propres puces », explique Tomas Žalandauskas. Mais ce n’est pas tout, dans les laboratoires de recherche du BPTI, les équipes travaillent également à perfectionner les techniques d’ores et déjà entamées avant la montée en puissance du conflit ukrainien. Machine learning, intelligence artificielle, cybersécurité et technologie laser. Autant de technologies utiles à la stabilité de l’industrie de défense lituanienne. Plus globalement, le pays a d’ores et déjà créé un Fonds d’investissement pour la défense, géré depuis peu par le ministère de l’Economie et des Finances, à destination des start-up et des PME qui créent des technologies utiles au secteur. En septembre 2022, le pays a été reconnu par l’Europe comme l’une des nations dont l’écosystème d’innovation se développe le plus rapidement.  

Les effets du passé 

Le 30 mai dernier, une attaque de drones a frappé Moscou. Si l’Ukraine est derrière cette attaque qui se joue toujours sur le terrain de manière bilatérale, les équipements détenus par Kiev proviennent pour certains de Vilnius. Des radars, des drones, de l’aide humanitaire, les Lituaniens, citoyens comme entreprises privées, se sont très vite mobilisés pour aider le pays envahi par la Russie. En un an, la société civile a donné plusieurs dizaines de millions d’euros à l’Ukraine.   

« Il nous faut bien comprendre que le régime russe actuel est une véritable menace pour la Lituanie. Nous sommes un petit pays et c’est impossible pour nous de résister seul face à Moscou », souligne Tomas Žalandauskas. Le souvenir des années d’occupation militaire russe sur les terres lituaniennes est encore bien présent. Le pays a vécu sous le joug russe pendant la majeure partie de son histoire. D’abord lié à la Pologne dans une « République des deux nations », elle est ensuite annexée, en 1795, par l’Empire russe, et ce jusqu’à la Première guerre mondiale, lorsque l’Empire allemand prend le relais de l’occupation. En 1918, à la fin de la guerre, la Lituanie accède enfin à l’indépendance. Mais cela n’a duré qu’un temps. Le 14 juin 1940, Staline ordonne l’occupation des trois Etats baltes. La Lituanie se retrouve à nouveau occupée, par les Soviétiques cette fois. Pire, les forces staliniennes déportent près de 43 000 citoyens baltes vers des camps de travail en Sibérie. Les nazis parviennent ensuite à prendre le contrôle et déciment la population juive du pays. Si les Soviétiques se targuent d’avoir libéré les pays baltes en 1944, ils remettent en place, jusqu’à la chute de l’URSS, un système d’annexion basé sur la terreur et la déportation en camp de travail. La Lituanie sera finalement la première république soviétique à déclarer son indépendance, le 11 mars 1990. Lorsqu’il a été temps de développer des relations diplomatiques et des alliances, le pays s’est donc naturellement tourné vers l’Ouest.  

 « Notre sécurité dépend de notre intégration et il était grand temps que nous prenions part à ce besoin de sécurité avec nos partenaires », développe Tomas Žalandauskas. Pour lui, cette urgence d’intégration et de défense face au régime de Moscou est en trois dimensions. Politiquement, la Lituanie a fait tout ce qu’elle devait faire. Elle a rejoint l’Union européenne en 2004 et l’OTAN la même année. Des adhésions qui lui ont permis de faire sa part sur le plan militaire. Le pays participe aux actions conjointes de l’OTAN et aux initiatives communautaires. « Mais sur le plan industriel, nous pouvons encore faire beaucoup pour collaborer entre nous plutôt que d’être en compétition », estime Tomas Žalandauskas. A base de collaboration multilatérale et de partenariats bilatéraux avec des entreprises et des françaises par exemple – l’Inria et Nexter font partie des partenaires réguliers du BPTI – la Lituanie est sur la bonne voie.