UE-AMERIQUE LATINE UN RAPROCHEMENT STRATEGIQUE EN DEMI-TEINTE

Ce mois de juillet 2023 verra se tenir le premier sommet depuis plus de 8 ans entre l’Union européenne et les 35 Etats composant la Communauté d’Etats latino-américains et caraïbes (Celac). Cette rencontre diplomatique matérialise la volonté de l’UE de créer un partenariat de long terme avec une région ayant longtemps été un angle mort de sa politique extérieure. Une aubaine stratégique en apparence, ponctuée par les discours et les déplacements in situ de la Présidente de la Commission européenne, à laquelle vient se confronter de profondes divergences entre les deux continents.

Par Geoffrey Comte

Une aubaine ?

Au cours de la dernière décennie, les relations diplomatiques bi-régionales sont restées au point mort. L’attention des pays de l’Union européenne a été focalisée sur la gestion des crises issues de son « étranger proche », notamment au Moyen-Orient, en Méditerranée et plus récemment en Ukraine, mais aussi sur ses graves problèmes internes dont la crise migratoire, de l’Euro et du Brexit. En parallèle, les espaces de dialogues sud-américains ont été délaissés au profit de la poursuite des intérêts nationaux. Le Brésil a connu un retrait progressif du régionalisme latino-américain, dont le nouveau président brésilien, Lula da Silva, souhaite prendre le contre-pied.

Une aubaine semble se présenter pour les deux régions. L’UE cherche de nouveaux partenaires stratégiques au moment où semble se réactiver le dialogue sud-américain. « Nous souhaitons réactiver ces relations avec nos anciens alliés stratégiques dans un contexte mondial de haute-compétition. Nous devons employer les investissements du Global Gateway comme un instrument financier en faveur de la transition écologique et numérique comme du développement des infrastructures au cœur de cette région. Nous désirons rendre nos économies complémentaires, en permettant aux européens d’obtenir de nouveaux actifs et des ressources premières critiques tout en diversifiant les industries sud-américaines pour les aider à sortir de l’extractivisme » soutient Javi López, eurodéputé espagnol et président de la composante européenne de Délégation euro-latino-américaine (DLAT).

En quête de complémentarités

Le lithium et l’hydrogène vert incarnent des priorités vitales. D’ici 2025, le succès de l’électrification des moyens de transport européens dépendra grandement de la capacité à obtenir des accès au lithium et à pouvoir le transformer durablement. La demande européenne pour les véhicules individuels est estimée actuellement à 15 millions de véhicules par an.1 Or, la Chine a raffiné 60% des réserves mondiales de lithium, produit 77% des cellules de batterie et fabriqué 60% des batteries au monde en 2021. « La demande européenne de lithium sera 12 fois plus importante d’ici 2030 qu’elle ne l’est aujourd’hui. Le protocole d’accord que nous venons de signer, mais aussi l’accord UE-Mercosur, rendront donc possibles des flux d’investissement cruciaux » déclarait la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen en juin dernier.2

A l’horizon 2030, l’UE a pour objectif d’importer 10 millions de tonnes d’hydrogène renouvelable par an. L’Argentine forme, avec le Chili et la Bolivie, le « triangle du lithium » qui recouvre 58% des réserves mondiales.3 En juin, Ursula von der Leyen a alors réalisé une tournée diplomatique au Brésil, au Chili, en Argentine et au Mexique, pour promouvoir un plan d’investissement de 10 milliards d’euros jusqu’en 2027 via la stratégie européenne Global Gateway. 2 milliards d’euros seront investis au Brésil pour des projets d’hydrogène vert, la construction de trois ports ouvrant de nouvelles routes énergétiques, dont 430 millions d’euros seront alloués au développement durable de l’Amazonie.

Une Task force bi-régionale contre le narcotrafic ?

Selon un récent rapport d’Insight Crime, le nombre d’homicides a grimpé de 82% en Equateur, de 47% au Suriname et de 32% au Chili entre 2021 et 2022.4 L’explosion de la violence est corrélée aux nouveaux records de production de cocaïne, aux guerres des gangs et à la rapide progression des flux d’armes par la région. L’absence d’instance régionale de coopération et de coordination des services de police avait motivé l’Union européenne et de nombreux pays d’Amérique du sud à inaugurer lancer le Programme d’assistance à la lutte contre la criminalité transnationale organisée (El PacCTO), en avril 2017, pour une durée de 5 ans. Doté d’un budget de 22 millions d’euros, ce projet était le premier programme européen de lutte contre la criminalité organisée et englobait l’ensemble des acteurs de la chaîne de lutte contre la criminalité, de la Justice aux décideurs politiques. Les 7 pays impliqués (Bolivie, Chili, Costa Rica, Equateur, Salvador, Mexique, Panama) dans le programme ont identifié 8 formes de criminalités prioritaires à combattre : trafic de drogues, d’êtres humains, cybercriminalité, atteintes à la propriété, crimes environnementaux, contrebande, trafic d’armes, blanchiment d’argent. Près de 49 opérations et enquêtes ont été menées dans le cadre d’EL PAcCTO et 120 fugitifs ont été arrêté sur trois continents dont en 2022 le « Major Carvalho », l’un des plus grands trafiquants de drogue internationaux, recherché pour trafic de stupéfiants, blanchiment d’argent, fraude documentaire et homicide en lien avec la criminalité organisée. En mars dernier le Comité permanent de coopération opérationnel en matière de sécurité intérieure (CLASI) a été créé, remplaçant El PAcCTO par une Task Force pour des opérations conjointes sur le trafic de drogue. « Avec les saisies de l’année dernière à Hambourg et Anvers, et celles de cette année à Anvers, nous savons que la cocaïne provient de plus en plus des pays du cône sud, en particulier du Paraguay. Mais elle descend du Pérou et de la Bolivie par les fleuves. C’est un problème commun à l’UE, à l’Amérique latine et aux Caraïbes », soulignait Xavier Cousquer, ancien directeur d’El PacCTO, lors de son inauguration.5 Son avenir devrait être évoqué lors du prochain sommet afin de renforcer la lutte contre le narcotrafic entre les deux régions.

Points de fuite

Fruit de deux décennies de négociations, l’accord UE-Mercosur soulève des critiques en Europe comme en Amérique latine. Le président Lula da Silva a publiquement exprimé la « méfiance » des partenaires européens, y dénonçant un accord asymétrique malgré les discours officiels. « Pour développer une alliance pérenne, les européens doivent abandonner la vision paternaliste qui fait de l’Amérique latine un récipient d’investissement en échange de matières premières. Sa stratégie devrait se focaliser autour du multilatéralisme et des enjeux de gouvernance globale. » indique Susanne Gratius, professeur affilié à l’Université autonome de Madrid.

Le sommet souffrira également de la crise interne espagnole depuis la dissolution du Parlement par le gouvernement Sánchez en mai dernier. « Le sommet répond moins à une demande pressante de la part des Etats-membres de l’Union qu’aux préoccupations extérieures de l’Espagne qui préside le Conseil de l’UE depuis le 1er juillet, intéressée au premier chef par une redynamisation avec l’Amérique latine. Mais avec sa crise interne, l’attention du gouvernement se tourne vers sa politique intérieure au détriment de sa politique extérieure » souligne Jean-Jacques Kourliandsky, directeur de l’Observatoire Amérique latine de la Fondation Jean Jaurès. A cela s’ajoute l’ordre dispersé des Etats-membres centrés sur leurs intérêts propres. « Après la perte du marché russe, l’Allemagne s’est beaucoup investie pour trouver de nouveaux débouchés. Le président, le chancelier, le vice-chancelier et le ministre des affaires étrangères allemands se sont successivement rendus au Mexique, au Brésil et en Argentine. Un investissement politique qui vient soutenir avant tout les intérêts commerciaux de l’Allemagne. Il apparaît donc difficile de parler d’une vision commune des Etats par rapport à l’Amérique latine » précise Jean-Jacques Kourliandsky, directeur de l’Observatoire Amérique latine de la Fondation Jean Jaurès.

Ces éléments de blocages obscurcissent le sommet de juillet tandis que vient de s’ouvrir un nouveau round de négociations pour l’accord UE-Mercosur.6 « L’Amérique latine apparaît pourtant comme la « dernière frontière de l’Occident » pour une Europe qui doit acquérir les moyens d’une indépendance énergétique, technologique, militaire, dans le but de peser dans un environnement international marqué par la logique d’un retour des blocs. (…) Plus que jamais, ballotés dans le jeu international marqué par les rapports de force, l’Europe et l’Amérique latine peuvent constituer une alliance qui contribuera à leur indépendance » soutient Pascal Drouhaud, spécialiste de l’Amérique latine.7