LES MULTIPLES FRONTS DE LA PUISSANCE BRESILIENNE

Le Brésil représente la 10e économie mondiale, possède plus de 213 millions d’habitants et incarne l’autre grande puissance américaine après les Etats-Unis. L’élection de Lula da Silva a donné un nouveau souffle à sa diplomatie « altiva e ativa », héritée de ses premiers mandats et résolument tournée vers l’international. Le nouveau gouvernement projette ses ambitions sur différents fronts, entre le renforcement de la base industrielle brésilienne de défense et sécurité (BIDS) et le désir de devenir un hégémon au sein du Sud global.

Par Geoffrey Comte

Altiva e ativa

Orchestré par le président brésilien Lula da Silva, le sommet de Brasilia du 30 mai dernier a réuni onze chefs d’Etats sud-américains, dont le président vénézuélien Nicolás Maduro, alors que son dernier passage au Brésil date de 8 ans. Cet événement inédit a relancé les spéculations sur un éventuel nouveau cycle de l’intégration sud-américaine. « Le contexte international actuel est différent. Le président Lula fait preuve de réalisme, en abandonnant la vieille idée d’une intégration de l’ensemble de l’Amérique latine. Sa stratégie est de maintenir un dialogue institutionnalisé avec le Mexique, l’Amérique centrale et les Caraïbes sur les questions communes, au sein de la CELAC, ce qui exclurait le Canada et les Etats-Unis. Brasilia vise à développer un multilatéralisme pragmatique qui permettrait d’accroître les échanges interrégionaux et de créer une « plateforme » latino-américaine, à même de mieux défendre les intérêts locaux face acteurs extrarégionaux comme la Chine, et de mieux se projeter à l’étranger, notamment vis-à-vis des pays du Sud global, à l’instar des BRICS » précise Juan Agulló, Professeur associé à l’Institut latino-américain d’économie, de société et de politique (UNILA) au Brésil. Et de poursuivre : « La clé de la politique régionale du Lula se situe dans l’Article 5 du Consensus de Brasilia, faisant la promotion de l’intégration financière soit l’utilisation de mécanismes monétaires permettant la dédollarisation. Cette idée pourrait s’étendre à différents niveaux jusqu’à la totalité des pays du Sud global ».

Protéger le poumon du monde

Le président brésilien promeut la protection de l’Amazonie comme une priorité existentielle de son troisième mandat. « Un des axes majeurs de l’intégration régional réside dans la capacité à affronter ensemble le défi de la crise climatique. La transition vers des technologies propres représente un enjeu commun qui nécessite des financements et des scénarios de développement autonomes adaptés » indique Emanuel Porcelli, politologue à l’Université de Buenos Aires. En août prochain sera organisé le sommet de l’Amazonie dans le cadre de l’Organisation du traité de coopération amazonien.1 En parallèle, le Fonds pour l’environnement mondial a organisé une réunion à Brasilia, début juillet, afin de distribuer une enveloppe de 1,4 milliard de dollars entre les pays concernés.2 Une aubaine pour le Brésil…

Renforcer la BIDS

L’invasion russe de l’Ukraine a accéléré l’augmentation des dépenses militaires mondiales, représentant 2,24 milliards de dollars en 2022.3 En Amérique latine, ces dépenses ont diminué de 6,1% l’année dernière. Au Brésil, le secteur de la sécurité et de la défense équivaut à 5% du PIB, permettant l’emploi de plus 2,9 millions de personnes, dont plus de 1,6 million d’emplois directs.4 Pour trouver de nouvelles sources de croissance, la nation lusophone se tourne vers l’Europe pour multiplier ces partenariats stratégiques de long terme et les transferts de technologie.

Fin juin dernier, le ministre brésilien de la défense, José Mucio Monteiro, a rencontré son homologue français, Sébastien Lecornu, lors du salon Paris Air Show. Les deux pays entretiennent une coopération industrielle de longue date, notamment autour du Programme de sous-marins (Prosub).5 Lancé en 2008, ce projet prévoyait la fabrication du premier sous-marin à propulsion nucléaire, de quatre sous-marins conventionnels ainsi que la construction du chantier naval d’Itaguaí, à proximité de Rio de Janeiro. Livré en 2021, le Riachulo est le premier sous-marin diesel-électrique opérationnel du programme.6 Il sera rejoint par les autres Scorpènes du français Naval Group durant les deux prochaines années. Une fois le contrat honoré, le Brésil pourrait passer une autre commande de navires de lutte contre les mines, d’essaims de drones maritimes ou encore de la frégate Belharra, navire cybersécurisé et 100% numérique de l’équipementier français. L’entreprise aéronautique brésilienne Embraer et le président Lula da Silva ont signé un protocole avec le Portugal pour faire monter en gamme les avions légers d’attaque « Super Tucano », produit par Embraer, de la version A-29 à la configuration A-29N, plus proche des recommandations de l’OTAN. En 2023, la firme brésilienne livrera aussi une série de 5 aéronefs KC-390 pour les forces armées portugaises, commandés en 2019 pour la somme 872 millions d’euros.7

Une sécurité publique et citoyenne

Le Brésil héberge 10 des 30 villes les plus violentes au monde. En 2017, 64 000 homicides ont été comptabilisés, équivalant à 30,9 morts violentes pour 100 000 habitants, pour atteindre 40 824 meurtres en 2022.8 70% des homicides sont réalisés avec des armes à feu, dont le nombre a augmenté de 94% entre 2018 et 2021. Plus de 56 600 criminels lourdement armés sont actifs dans la seule ville de Rio de Janeiro, abritant 6,7 millions d’habitants.9 Amorcé en mars 2023, le Plan national de sécurité publique avec citoyenneté (PRONASCI II) articule les actions de prévention, de contrôle et de répression de la criminalité. Sa finalité est de réduire le taux national d’homicides à moins de 16 décès pour 100 000 habitants d’ici 2030. 5 axes majeurs sont portées : la prévention des violences faites aux femmes, la protection des plus vulnérables, une politique axée sur la formation des détenus, le soutien aux victimes de la criminalité et la lutte contre le racisme. Sur l’année 2023, près de 770 véhicules seront livrés au profit des patrouilles de proximité de 138 municipalités. Les chantiers de 40 centres d’aide aux victimes de violences seront lancés tandis que 4 millions de réais (754 000 euros) seront débloqués pour la protection des femmes. La sécurité policière et sociale sera donc le duo de politiques porté par Flávio Dino, le ministre de la Justice et de la Sécurité. Ce dernier a annoncé que 3 milliards de réais (566 000 000 millions d’euros) supplémentaires seront débloqués à l’horizon 2024 pour assurer le succès de PRONASCI II.

Le président Lula porte ses réformes bien au-delà des frontières régionales. Le 19 septembre prochain sera l’occasion pour lui d’incarner la voix de l’Amérique latine, aux côtés de ses partenaires mexicains et argentins, lors l’assemblée générale du Conseil de sécurité des Nations unies, durant laquelle sera abordée la possibilité de l’élargissement du Conseil à 6 nouveaux membres permanents.10