La lutte contre les jeux illégaux en ligne

Environ 3 millions de personnes joueraient illégalement à des jeux d’argent et de hasard en ligne sur le territoire français, d’après une étude publiée début décembre 2023 par l’Autorité nationale des Jeux (ANJ). A l’heure où émergent des jeux « play to earn » et à l’approche des Jeux Olympiques de Paris, la lutte contre ce phénomène est au cœur d’enjeux de sécurité autant que de santé publique.

Par Alban Wilfert

L’offre illégale de jeux en ligne

Le marché français des jeux d’argent et de hasard, réglementé par l’ANJ, compte 18 opérateurs agréés dont deux titulaires de droits exclusifs, la Française des Jeux et le PMU. Un marché légal qui se voit fortement challengé par les réseaux illégaux, en forte croissance. Entre janvier et mars 2023, 1241 sites internet et 106 applications mobiles de jeux illégaux ont été répertoriés. qui génèreraient du trafic sur le sol français. 21 des sites alimenteraient à eux seuls 60% du trafic de l’offre illégale de jeux d’argent. 50 % du trafic internet de celle-ci seraient générés par des jeux de casino en ligne (la roulette, les jeux de dés, le craps, le blackjack et le baccara) et les machines à sous.1 Un délit passible de trois ans d’emprisonnement et de 90 000 euros d’amende.

Une activité très lucrative qui représenterait entre 748 millions et 1,5 milliard d’euros, soit 5 à 11 % du produit brut des jeux (PBJ). En comparaison, en Italie, le revenu brut des jeux d’argent illégaux est de 1,9 milliard d’euros, pour une population inférieure. A l’inverse, en Espagne, seulement 3,5 % de ce marché relèvent de l’illégalité. Derrière de tels contrastes se lisent des différences de législation, la définition de l’offre illégale ne faisant l’objet d’aucun consensus international.

Pourtant, ce phénomène représente des enjeux de sécurité mais aussi de santé publique. Au-delà du vol de données personnelles, de l’escroquerie à la carte bancaire et de l’installation de programmes malveillants, ces sites peuvent contribuer à alimenter le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Sans compter qu’ils contribuent au développement de problèmes importants d’addiction. Faute de contrôle de la majorité des joueurs, de possibilité d’auto-exclusion ou d’encadrement des mises, autant de « garde-fous » prévus par la loi pour l’offre légale, « l’offre illégale donne lieu à trois fois plus de joueurs aux pratiques problématiques que parmi ceux qui utilisent des offres légales », précise Gaëlle Palermo-Chevillard, coordinatrice du département chargé de la lutte contre l’offre illégale à l’ANJ. 50 % des joueurs concernés auraient moins de 35 ans.2

Informer, prévenir, réprimer

Parmi les internautes fréquentant ces plateformes, 1 sur 2 ignorerait l’illégalité de celles-ci selon les études réalisées. L’heure est donc à la prévention : détecter l’addiction, proposer des adresses de centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie et développer des dispositifs d’auto-exclusion et d’interdiction volontaire de jeu, sans oublier des listes noires de sites illégaux, l’ANJ multiplie les ressources et les actions. L’autorité est par ailleurs partenaire d’acteurs associatifs comme l’Union nationale des associations familiales (Unaf), notamment concernant la protection des mineurs.

Un public particulièrement ciblé, entre un clip de rap réalisé avec le beatmaker BLV publié en 2022 et visionné plus d’1,7 million de fois3 et, à compter de janvier 2024, une campagne de sensibilisation à l’offre illégale diffusée sur les réseaux sociaux. L’illégalité est en effet parfois bien camouflée derrière l’affichage, sur les sites concernés, de licences internationales de casino en ligne sans valeur légale ou de logos de l’ANJ.

En fin de chaîne, reste l’action répressive. Les enquêteurs de l’ANJ sont notamment habilités à effectuer, sous des identités d’emprunt, des constatations en ligne des sites web illégaux. Depuis mars 2022, l’ANJ dispose d’un pouvoir administratif de blocage de ces derniers : en 18 mois, 300 sites et 1403 URL ont ainsi été rendus indisponibles, soit presque autant que pendant les douze années où seules des procédures judiciaires étaient possibles.

De nécessaires coopérations

La lutte contre les sites web illégaux impose de travailler avec les grands acteurs du net. Ainsi, l’ANJ a-t-elle entamé une coopération avec les moteurs de recherche, notamment Google, en vue du déréférencement de ces sites : l’autorité leur signale, à cette fin, tout contenu illégal qu’elle repérerait. Une démarche qui doit être complétée par d’autres puisque des sites miroirs apparaissent très rapidement, d’autant que seules 19 % des visites proviennent de moteurs de recherche, le reste étant issu de la publicité ou des réseaux sociaux.4 Toutefois, la coopération avec ces derniers porte ses fruits. Récemment, Meta a reçu de l’ANJ nombre de signalements à la suite d’une campagne massive d’usurpation d’identité autour de casinos en ligne. Fournisseurs de solutions de paiement et éditeurs de logiciels de jeux sont également approchés : de nouvelles perspectives sur lesquelles l’ANJ devra « véritablement compter pour les années à venir », précise Gaëlle Palermo-Chevillard.

Côté institutions publiques, des échanges avec le Service Central des Courses et des Jeux, service rattaché à la direction de la Police judiciaire et chargé de la lutte contre les jeux d’argent et de hasard en réseau physique, est à l’œuvre depuis 2020. Il avait notamment enquêté en 2012 sur l’affaire des paris truqués autour d’un match de handball et sur le Cercle de jeu Wagram. La section J3 du Parquet de Paris, spécialisée dans la cybercriminalité ou encore la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes sont également engagées dans cette lutte. En 2021 et 2022, une enquête conduite avec cette dernière a relevé et mis un terme à la diffusion, sur des sites d’opérateurs de jeux en ligne agréés, de messages promouvant des « tipsters », des personnes proposant des conseils pour des paris sportifs en affichant frauduleusement des résultats miracles.5

Une coopération qui s’étend à l’international. Des discussions autour des politiques en matière de jeux d’argent ont lieu, avec les autorités de régulation étrangères, sont entretenues dans le cadre du GREF (Gaming Regulator’s European Forum).

Défis futurs

L’offre illégale de jeux de hasard se renouvelle, avec son lot d’enjeux. Ces dernières années, l’émergence des cryptomonnaies et NFT n’est pas allée sans celle de jeux permettant d’en gagner. Encore mal définie, cette catégorie de jeu nommée « play to earn », ne représente encore que 3 % du volume mensuel du trafic web de l’offre illégale de jeux en ligne, mais déjà 50 % des sites en proposent.

Dans quelques semaines, la France accueillera les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris. En 2012 déjà, ceux de Londres avaient vu la création d’une unité de renseignement spécifique, censée déjouer les tentatives de corruption des athlètes et les paris clandestins. A priori, Paris n’en arrivera pas là, des « adresses de contact servant spécifiquement pour l’offre illégale étant en mesure de répondre aux interrogations » selon Gaëlle Palermo-Chevillard. Et d’ajouter : « le parquet de Paris a, dès 2021, mis en place la plateforme “Signale !” sur laquelle les tentatives de manipulation des compétitions sportives peuvent être dénoncées », anonymement. La plateforme nationale de surveillance des manipulations des compétitions sportives, à laquelle l’ANJ participe activement, sera aussi mobilisée lors de cet événement.

A l’approche des JOP, une nouveauté légale a d’ailleurs vu le jour avec la signature, en 2019, de la convention de Macolin, sous l’égide du Conseil de l’Europe, et sa ratification en 2022 par la France. Cette régulation internationale « sur la manipulation des compétitions sportives » propose, pour la première fois, un cadre juridique, enjoignant chaque Etat signataire d’adopter les mesures nécessaires contre les paris sportifs illégaux, tout en prévoyant la possibilité d’extradition et d’entraide juridique. Le cas échéant, une double incrimination, devant les justices respectives des différents pays concernés, est désormais possible. A jeux internationaux, vigilance internationale.

1 https://anj.fr/sites/default/files/2023-12/ANJ_Offre%20illégale_Rapport%20final_20231215.pdf

2 Ibid

3 https://www.youtube.com/watch?v=stnid05otVE&ab_channel=ANJ

4 https://anj.fr/sites/default/files/2023-12/ANJ_Offre%20illégale_Rapport%20final_20231215.pdf

5 https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/des-faux-bons-tuyaux-sur-les-sites-de-conseils-en-paris-sportifs-lenquete-de-la-dgccrf