Scorpion : tout un programme

Scorpion : tout un programme

La force Scorpion, au cœur de la nouvelle organisation de l’armée de Terre, va être dotée d’équipements de pointe pour une nouvelle génération de soldats plus mobiles, mieux protégés et surtout interconnectés. Pour l’armée de Terre, le futur commence maintenant.

 

La technologie ne remplacera jamais l’homme. Et pourtant, dans un monde où l’ennemi a changé de visage, où le terrorisme et les menaces non conventionnelles sont devenus la norme, le soldat doit s’adapter, et mettre la technologie à son service. Scorpion est le programme majeur qui va accompagner ce changement et structurer les forces terrestres pour les 30 prochaines années, tant dans leurs capacités que dans leur organisation.

Scorpion, avant d’être un acronyme ou un programme d’armement, est une force, cœur du nouveau projet « Au contact » développé par l’armée de Terre et mis en œuvre entre l’été 2015 et l’été 2017. Ce nouveau modèle s’articule autour de huit piliers : ressources humaines, territoire national, aérocombat, forces spéciales, formation/entraînement, commandements spécialisés, maintenance et force Scorpion. Cette force s’articule elle-même autour de deux divisions qui seront créées à l’été 2016 (la 1redivision à Besançon et la 3e à Marseille), et auront chacune sous leurs ordres trois brigades.

La force Scorpion, interarmes, concentra les deux tiers de la force opérationnelle terrestre. « Scorpion sera ainsi l’épine dorsale du combat terrestre pour les prochaines décennies », a souligné le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, en décembre 2014, lors de l’annonce officielle de la signature de la première tranche du contrat d’armement du programme Scorpion.

Scorpion : l’efficacité au programme

Plus qu’un système d’hommes, Scorpion est un programme d’armement ambitieux, lancé dès les années 2000 par l’état-major de l’armée de Terre, et visant à renouveler les équipements majeurs du groupement tactique interarmes, le GTIA. Il devenait indispensable en effet de remplacer des matériels vieillissants : le célèbre Véhicule de l’avant blindé (VAB) fête par exemple ses 40 ans cette année ! L’objectif du programme  Scorpion est d’accroître la mobilité, l’autonomie, l’agilité et la protection des GTIA, engagés au contact direct de l’adversaire, en utilisant de nouvelles capacités d’échange d’informations. La première tranche du contrat d’équipement, auquel seront consacrés près de 5 milliards d’euros, s’étalera sur 10 ans environ.

– Le système d’information et de combat Scorpion (SICS) a été confié à la marque Bull du groupe ATOS, en cotraitance avec Sagem (groupe Safran) pour la version Félin du SICS.

Le SICS est LE système d’information unique au centre du programme Scorpion. Il viendra remplacer six systèmes hétérogènes qui coexistaient auparavant. Le SICS permettra aux combattants de partager de façon immédiate (et sécurisée !) l’ensemble des informations tactiques disponibles sur le terrain, notamment la position des amis et ennemis. Il fera le lien entre les différents niveaux de commandement tactique, du chef de corps au chef de groupe, devenant une aide précieuse au commandement. Ce système a la particularité d’être évolutif : il pourra intégrer d’autres modules au cours de la vie du programme Scorpion. (Voir encadré.)

Une première version du système sera testée dès l’été 2016 puis déployée progressivement à partir l’été 2017. Plusieurs extensions sont prévues, notamment dans le cadre du programme Félin. 

– Les véhicules blindés multi-rôles (VBMR) Griffon (lourd) et VBMR légers, destinés à remplacer les VAB actuellement en service, seront réalisés en co-traitance solidaire par un groupement momentané d’entreprises constitué des sociétés Nexter Systems, Renault Trucks Defense et Thales Communications & Security.

Le Griffon, destiné à transporter des troupes, des équipements et des systèmes d’armes, sous protection, dans la zone des contacts, sera au cœur du combat interarmes et agira en complément des autres capacités de combat de l’infanterie (VBCI) ou de la cavalerie (Leclerc rénové, Jaguar). Il sera décliné en 11 variantes au total, grâce aux kits spécifiques pour l’infanterie (Félin, section de tireurs d’élite…) ou pour l’ensemble des GTIA (véhicules sanitaire, de dépannage, de ravitaillement, du génie…).

Le VBMR léger sera quant à lui destiné à protéger l’échelon national d’urgence et les unités de renseignement. 

Commande cible : 1 700 Griffon et 358 VBMR légers. 

Les tout premiers Griffon seront livrés dès 2018 avec, ensuite, une cadence de livraison d’environ une centaine par an à partir de 2019. Les premiers VBMR légers sont attendus à partir de 2021.

– Les engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) Jaguar sont destinés à remplacer l’AMX10RC, l’engin blindé ERC Sagaie et le VAB HOT. Ils doivent doter les brigades multi-rôles et légères. Le Jaguar a en commun avec le Griffon sa modularité, mais aussi une autonomie de 800 km et 72 h en combat.

La problématique du soutien a été d’emblée prise en compte dans le programme Scorpion. Ainsi, afin de réduire les coûts liés au maintien en condition opérationnelle, les industriels ont choisi d’utiliser un maximum de composants communs au VBMR et à l’EBRC, pour l’optique et l’optronique, comme pour les pneumatiques, les batteries, ou encore la boîte de vitesse. Il est également prévu l’utilisation de moyens de soutien déjà en service et un outillage commun. Un système de kits modulaires a aussi été adopté (kit additionnel pour le blindage notamment).

Commande cible : 248. 

Les premiers exemplaires arriveront en 2020 et la production sera, par la suite, d’environ une vingtaine par an.

– Une rénovation du char Leclerc par Nexter Systems.

Les travaux de rénovation prévus permettront au Leclerc d’exploiter au mieux sa puissance de feu et sa mobilité au sein des futurs GTIA Scorpion. Grâce au développement d’interfaces spécifiques, notamment pour le SICS, il pourra collaborer efficacement en réseau avec toutes les composantes des futurs GTIA Scorpion. Afin de mieux faire face aux nouvelles menaces, notamment liées aux engins explosifs improvisés, une mise à niveau de sa protection sera réalisée par le développement de kits de blindage spécifiques. 

Commande cible : 200 chars rénovés. 

Les premiers chars Leclerc rénovés seront attendus en 2020 avec, par la suite, une livraison moyenne de 25 exemplaires par an. 

Le combat de demain

Scorpion apportera de meilleures capacités de combat et permettra d’accélérer la manœuvre. « Pour les chefs, y compris aux plus bas échelons, cela signifiera un raccourcissement notable du cycle de décision, donnant par-là un temps d’avance sur l’adversaire, gage de succès », a souligné le général Arnaud Sainte-Claire Deville, commandant les forces terrestres, lors d’une intervention devant le Collège d’enseignement supérieur de l’armée de terre[1].

Scorpion, une nouvelle façon de faire la guerre ? C’est une réflexion de fond que mène l’armée de Terre depuis plusieurs années déjà. Car avec Scorpion, les forces terrestres vont connaître une véritable révolution technologique et tactique à la fois, avec des impacts majeurs sur les doctrines d’emploi et sur les procédés tactiques. C’est dans ce cadre que le Centre de doctrine d’emploi des forces (CDEF) de l’armée de Terre a conduit fin mars 2016 l’exercice Scorpion IV, rendez-vous majeur dans le cadre des travaux doctrinaux sur Scorpion entamés en 2013. Cet exercice d’expérimentation mettait en situation un poste de commandement de niveau GTIA Scorpion. L’objectif final est l’élaboration d’une doctrine du niveau GTIA.

Le calendrier est serré. « L’objectif de l’armée de Terre est de pouvoir projeter le premier GTIA Scorpion en 2021 et la première brigade Scorpion en 2023 », a annoncé[2] en décembre 2015 le général d’armée Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de Terre. Industriels et soldats sont déjà en ordre de bataille.

Le SICS inaugure l’ère du soldat 4.0 

 Entretien avec M. Cyril Dujardin, responsable Mission Critical Systems du groupe Atos. 

Comment développez-vous le SICS ?

Le SICS est la colonne vertébrale du programme Scorpion, un logiciel simple et évolutif, répondant aux besoins actuels et futurs de l’armée de Terre. L’application est construite au fur et à mesure, avec des interactions permanentes avec les opérationnels, de la Section technique de l’armée de terre ou des régiments. Nos techniciens vont tous les deux mois en immersion dans un régiment pour présenter la version de travail du logiciel aux soldats, recueillir leur feed-back et nous permettre de faire évoluer le système. Cette façon de procéder évite les mauvaises surprises à la livraison ! 

Le SICS sera-t-il une exception française ?

Chez nos partenaires occidentaux, seuls les Etats-Unis ont imaginé un système global de cette ampleur. Au niveau européen, le Danemark a conçu un programme similaire, mais plus modeste et qui équipe une armée beaucoup plus petite que l’armée française. La France, avec le SICS, sera en pointe, disposant d’un système global, complet. 

Selon vous, le SICS va-t-il changer la façon dont les soldats combattent ?

Sur le terrain, le commandement se fait principalement à la voix. Le SICS permettra de limiter les interactions vocales : on passera d’environ 80 % d’échanges à la voix, et 20 % d’informations échangées de façon électronique, à l’inverse, avec seulement 20 % d’informations échangées vocalement. Sur le terrain, au contact de l’ennemi, les ordres fuseront toujours oralement, rien ne changera. Mais dans la phase préparatoire à l’action, et lors des comptes-rendus, l’électronique prendra le pas. Le SICS jouera aussi sur la vitesse de transmission des données : la remontée d’information vers le niveau supérieur sera immédiate, en temps réflexe. 

[1] www.penseemiliterre.fr

[2] Dans La lettre du CEMAT « Au Contact » n° 31