Quelle stratégie d’innovation pour la sécurité, à l’ère du numérique ?

Marc Darmon, Directeur général adjoint, Thales Systèmes d’Information et de Communication Sécurisés, Président du Comité Stratégique de Filière Industries de Sécurité

Avec 28 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont 50 % à l’export, l’industrie française de sécurité emploie 151 000 personnes, ce qui en fait l’une des industries les plus importantes du pays. Cette puissance industrielle, l’un des fleurons de l’empreinte technologique française, a été développée grâce à une coopération de qualité entre les organismes publics et privés. Le pays compte jusqu’à 4 000 entreprises de toutes tailles dédiées au développement des technologies et services de sécurité. Ce déploiement impressionnant comprend certaines des entreprises les plus renommées au monde, expertes dans divers sujets. De la sécurité urbaine à la surveillance des sites critiques, en passant par le chiffrement numérique pour les objets connectés, la France dispose de toutes ces solutions. Outre des leaders mondiaux tels que Thales et l’ex-Gemalto, la France dispose également d’un solide écosystème de PME et de startups.

Le Comité Stratégique de Filière des industries de la sécurité, créé en novembre 2018 et que je représente en qualité de Président, regroupe un secteur de hautes technologies qui pèse déjà dans l’économie française et au niveau européen, un secteur fier d’afficher de fortes ambitions pour maitriser toutes les technologies clés (IA, blockchain, big data etc…) et qui participe pleinement à l’économie numérique en devenir. Pour structurer ses travaux, le CSF a élaboré avec tous ses partenaires cinq projets qui font l’objet du contrat de filière 2019-2022 entre l’Industrie et l’État, finalisé et qui sera signé très prochainement : la sécurité des grands événements, la cybersécurité et la sécurité des objets connectés (IoT), l’identité numérique de confiance, le numérique de confiance, et « les territoires de confiance ».

Et parce que les cybermenaces ne connaissent pas de frontières, les solutions de sécurité ne peuvent plus se limiter aux frontières nationales, à la conscience nationale ou à un écosystème national. Notre vision, notre portée et nos capacités doivent s’étendre au village planétaire pour devenir, in fine, une vitrine de la France à l’international capable de fédérer pro-activement les autres acteurs de la sécurité au niveau européen.

Mais le défi pour la France réside dans le fait que nous vivons dans un monde où les normes historiques, qu’elles soient sociétales, technologiques ou économiques, ne sont plus d’actualité. Plus que jamais, nous vivons un moment tout à fait particulier qui nous pousse à travailler et collaborer ensemble : le début d’une nouvelle ère de rupture face à l’explosion du numérique. Prenons l’exemple de la transformation numérique et de la souveraineté : comment protéger nos outils numériques et nos données (en France, en Europe) à une époque où la cyber-menace est omniprésente ? Le potentiel technologique évolue très rapidement et apporte des solutions de plus en plus innovantes pour répondre à l’évolution des menaces, d’où la nécessité de maîtriser la technologie (réseaux sans fil haut débit, Internet of Things, cybersecurité, intelligence artificielle, big data) pour protéger nos territoires, nos sites et nos infrastructures sensibles.

Dès les prémices de l’ère numérique, le développement de la technologie a provoqué un changement radical dans le domaine de la sécurité. La technologie numérique a modifié la manière dont les données sont générées, utilisées, exploitées et, par conséquent, mal gérées. Il en a résulté l’émergence de nouveaux acteurs, de nouveaux marchés et même de modèles économiques et d’individus. Imaginez-vous à la place d’une société d’investissement il y a 15 ans en écoutant un étudiant d’université portant un t-shirt et un jean, présenter une proposition d’investissement pour un site Web axé sur les mises à jour du statut de la vie personnelle des gens. De nos jours, la seule norme sur le marché de la technologie est que vous ne savez pas ce que demain vous apportera. Et dans cette nouvelle réalité, la sécurité technologique devient plus une forme d’art qu’une science.

C’est en partie pourquoi, lors de la dernière édition des Assises du COFIS, le CoFIS (Comité de Filière des Industries de Sécurité), devenu depuis le Comité Stratégique de Filière des Industries de Sécurité, a identifié 12 technologies émergentes qui révolutionnent la perception et l’approche du concept de sécurité dans nos sociétés. Il s’agit notamment de nouveaux concepts tels que les dispositifs connectés, l’identité et l’authentification numériques, l’analyse des grandes données, les humains augmentés, la vision artificielle, la réalité augmentée et virtuelle, la chaîne de blocage, les plates-formes connectées et intégrées, les véhicules et les services, la détection des substances dangereuses ou illicites, la détection des produits contrefaits, etc.

Les applications collaboratives telles que le covoiturage, la location de voitures en peer-to-peer ou encore les nouveaux concepts comme la « Gig Economy » font évoluer à la fois les modèles économiques et les sources de revenus et modifient rapidement certains segments de notre économie d’une manière aussi fondamentale que l’avènement des usines textiles mécanisées a changé la société au XVIIIe siècle à l’aube de la Révolution Industrielle. Et tout comme cette révolution a provoqué une migration massive de l’homme des zones rurales vers les zones urbaines, la révolution numérique fait migrer vers le grand public des systèmes et processus qui relevaient traditionnellement de l’industrie. Par exemple, les compagnies de taxi traditionnelles qui avaient besoin de flottes de voitures et de chauffeurs de taxi formés sont rapidement remplacées par des systèmes collaboratifs comme UBER. D’autres domaines incluent l’utilisation émergente des drones commerciaux pour la vidéosurveillance, ou même la collecte d’informations.

D’autre part se pose la question de l’utilisation de ces technologies et de leurs limites. Le nœud du problème, c’est que la technologie est neutre : les systèmes informatiques et les appareils électroniques, aussi puissants et sophistiqués soient-ils, n’ont pas de programme, de direction consciente ou d’ego à nourrir. C’est là que l’éthique et la morale entrent en jeu. C’est à nous d’inculquer un sens moral et éthique dans la façon dont nous intégrons les technologies émergentes et de veiller à ce qu’elles soient conçues, développées et déployées dans l’intérêt de l’humanité et non pour nuire aux individus et à la société. Il incombe à des organisations telles que Thales, agissant de concert avec les gouvernements, les institutions et les entités supranationales, de concevoir des systèmes numériques qui soient fiables, compréhensibles et éthiques, et où les humains restent au cœur de la décision.

L’une de nos forces, et celle qui a fait de la technologie de sécurité française l’une des plus reconnues au monde, est la philosophie que nous appliquons depuis l’aube du numérique, à savoir maintenir un lien clair entre l’homme et la machine. Nous veillons à avancer de la manière la plus juste, transparente et éthique dans l’intérêt de tous nos concitoyens, en s’assurant que l’humain se situe toujours au centre d’un débat souvent à fort contenu technique. Aujourd’hui, une charte éthique est en cours d’élaboration au sein du Comité Stratégique de Filière des Industries de sécurité. A cette charte, la première en son genre, souscriront tous les acteurs de la chaîne de valeur de la sécurité, et ses partenaires pour offrir aux citoyens, aux métropoles, villes, régions une utilisation éthique et transparente des technologies de sécurité.