L’organisation résiliente : un enjeu stratégique aux multiples facettes

Sanitaire, humaine et économique, la crise actuelle liée au Covid-19 secoue nos organisations, nos convictions et nos repères sur les cinq continents. Difficile encore aujourd’hui d’estimer les impacts réels sur 2020 et au-delà. Seule certitude, il faudra se mobiliser pour inventer des organisations résilientes capables de mieux nous protéger et nous préparer à de nouvelles crises.


Par Malika Pastor, DSI de Colliers Intl & Christophe Coupé, Directeur chez Inspearit


Pour survivre et prospérer, les entreprises doivent être flexibles, solides et compétitives : s’adapter aux clients, conquérir de nouveaux marchés, intégrer de nouvelles contraintes ou de nouvelles techniques et accueillir les nouvelles générations Y et Z. Voilà encore ce sur quoi nous étions tous d’accord il y a quelques semaines. La crise du Covid-19 est alors arrivée.

D’abord en Chine, pour se propager ensuite partout sur la planète. A partir de janvier, nous assistons au confinement de la population en Chine centrale, sans penser que cela allait nous atteindre. L’impensable est pourtant arrivé, la plupart des pays imposant les uns après les autres des mesures de confinement, de réduction (voire de cessation) d’activités et de limitation des déplacements.


En France, les organisations ont dû faire face brusquement, en quelques jours, à cette crise non prévue. Elles ont dû réagir, évoluer et se réorganiser : mettre en place les mesures adéquates pour garantir la poursuite de l’activité essentielle ; déployer le télétravail généralisé très vite quand cela était possible ; maintenir la production pour les activités jugées nécessaires. Le système de santé reflète cette évolution réalisée à un rythme effréné, avec les difficultés, les impacts et les risques associés. Il a fallu notamment réorganiser les hôpitaux, revoir les chaînes d’approvisionnement, inventer des solutions pour répartir des malades… Ce qui est réalisé n’a été possible que grâce au dévouement de ces hommes et de ces femmes du secteur de la santé, au péril de leur vie. Elles et ils font et réussissent l’impossible, mais sont aujourd’hui à bout de souffle…

Nous avions une certitude, celle de tout maîtriser et tout contrôler. C’était une illusion. Clairement, nous n’étions pas prêts et loin d’imaginer un tel scénario. Personne n’avait anticipé. Nombre d’entreprises sont à l’arrêt. D’autres fonctionnent en mode dégradé. Certaines pourront redémarrer et retrouver un fonctionnement nominal après quelques semaines. D’autres connaîtront plus de difficultés. Les plus fragiles devront stopper leur activité.

Nous espérons tous pouvoir sortir bientôt du confinement et reprendre nos activités, comme avant. Mais faudra-t-il les reprendre comme avant ? Oui, car la vie doit reprendre. Non, car il va falloir prendre le temps de repenser nos organisations, afin de leur donner cette faculté qui a souvent fait défaut, la résilience.

Il est encore trop tôt pour imaginer comment devenir résilient. Le retour d’expérience sera important, riche et nécessaire. Ce que nous pressentons, notamment pour les activités de service, c’est que la résilience est le fruit d’une véritable alchimie. Intuitivement, nous pensons qu’il faudra agir sur différents axes.

Tout d’abord les outils à mettre à disposition des collaborateurs, des fournisseurs et des clients. On l’a vu, le télétravail ne s’improvise pas. Il faut des systèmes et des outils fiables, adaptés, dimensionnés en conséquence, qui garantissent les libertés d’usage et le niveau de sécurité requis. Beaucoup d’entreprises n’étaient pas préparées. Dans l’urgence et à l’insu des DSI, des plateformes collaboratives ont été utilisées sur le Cloud en mode Shadow IT par les collaborateurs, pour animer des réunions, assurer des formations à distance, suivre des plans d’actions. Cette multiplication d’outils a très vite montré ses limites, en matière d’accès, de gestion sécurisée des données, d’efficacité et de convivialité du travail. Quand cette crise sera terminée, il faudra se pencher sérieusement sur les exigences de résilience et déployer les outils nécessaires aux justes besoins, secteur par secteur, profil par profil.

Ensuite, en lien avec les outils, les compétences à développer par les collaborateurs. Avant le Covid19, tous les salariés ne pratiquaient pas le télétravail. Ils n’étaient donc pas tous habitués à travailler chez eux de manière autonome et efficace. Tous n’avaient pas acquis les bons réflexes pour gérer des relations 100% à distance. Et, même avec les bons réflexes, après une journée passée au téléphone et en vidéo-conférence depuis leur domicile, les collaborateurs sont épuisés, tendus. Les réunions virtuelles ne sont pas aussi efficaces qu’en présentiel.

Quelles compétences devons-nous développer pour être plus efficaces et autonomes dans ce type de situation ? Cette crise met en lumière beaucoup d’axes de progrès : comment développer notre capacité à mieux communiquer, échanger et travailler à distance sans présence physique ? ; comment développer notre capacité à ajuster collectivement nos pratiques en quelques jours, en situation de crise? ; comment développer notre capacité à utiliser et maîtriser très vite de nouveaux outils ? Il faudra plus ajuster l’environnement de travail. Aujourd’hui, dans les sociétés de service, nous travaillons dans l’entreprise ou de chez nous. Peut-être faudra-t-il ajouter d’autres modes de travail ?

Le co-voiturage, le co-working ont été inventés. Pourquoi pas le co-télétravail ? Ou d’autres formes de collaboration, que nos repères présents nous empêchent d’envisager. La crise actuelle nous impose d’ouvrir nos esprits et de laisser libre court à l’innovation et à la créativité. Il faudra rebondir, multiplier les initiatives pour imaginer et tester de nouvelles formes d’organisation et de travail, et ce dans tous les secteurs.

Enfin, et ce n’est pas le plus simple, il faudra faire évoluer le rôle et la fonction du manager. Avant cette crise, nous sentions déjà que le rôle de manager devait évoluer, pour tenir compte de l’arrivée des Millenials, de la digitalisation et de la prise en compte de la voix du client. A l’issue de cette crise, le management sera en première ligne. Car c’est lui qui sera responsable de communiquer, d’animer et conduire cette résilience qui, en retour viendra impacter l’organisation même du management. Son rôle ne sera pas simple car tout cela devra être effectué en maintenant, voire en améliorant, la performance et en appréhendant aussi les attentes des équipes. Il devra enfin veiller à assurer que son organisation est bien une organisation apprenante et résistante, qu’il orientera vers l’acquisition d’une nouvelle dynamique alors devenue essentielle : la résilience.