Associations, élus, citoyens : générateurs de confiance

Emploi, transition écologique, tissu associatif fort et implications citoyennes. Au sortir d’une crise sanitaire inédite, l’échelon local a de quoi faire entendre sa voix pour assurer la sécurité de tous et (re)créer la confiance.

Par Lola Breton

« La problématique des quartiers populaires est encore plus criante aujourd’hui qu’il y a 20 ou 30 ans », déplore Farid Temsamani, porte-parole de l’association Banlieue Plus, présente dans les métropoles parisienne, lyonnaise et toulousaine. « À la crise du logement de la fin des années 1970 se sont ajoutées la problématique des violences policières, la crise économique et sociale et celle de l’éducation nationale, ponctuées parfois par une communautarisation des territoires », ajoute-t-il. 47 territoires français sont, depuis 2019, désignés « quartiers de reconquête républicaine ». Des brigades de police de sécurité du quotidien sont censées y assurer une sécurité sur-mesure en partenariat avec les acteurs du terrain : associations, élus, bailleurs sociaux, etc. Mais au vu des crises diverses qui traversent ces territoires, la présence policière renforcée n’est pas la seule réponse à y apporter.

Les banlieues ne sont pas les seuls lieux de vie à devoir initier des changements dans leur fonctionnement et leurs relations entre acteurs. Pour devenir leader des territoires de confiance et assurer la sécurité des villes intelligentes d’ici la fin de la décennie, la France doit, dans son intégralité, miser sur la création de confiance. À la campagne, en périphérie urbaine, en ville, outre-mer et en métropole, cette confiance passe par des hommes et des femmes engagés, des associations, des élus et des chefs d’entreprises.

Briser « le plafond de verre »

Un territoire sécurisé est un territoire dynamique qui se veut bassin d’emploi pour sa population. Sur certains grands chantiers prévus pour les prochaines années, l’inclusion des habitants est une dimension à prendre en compte. En Seine-Saint-Denis, 20 milliards d’euros de projets sont prévus sur les 20 années à venir. Parmi eux, on retrouve notamment la construction de plusieurs infrastructures des Jeux olympiques 2024. Selon une étude de l’Institut Montaigne, publiée en mai, 43 % des emplois du département francilien sont occupés par des personnes qui n’y vivent pas.1 Pourtant, la demande existe : « […] sur les quarante communes qui composent la Seine-Saint-Denis, onze connaissent un taux de chômage supérieur à 20 % contre 8,1 % au quatrième trimestre 2019 en France métropolitaine », souligne l’étude. Pour redynamiser ce territoire et impliquer davantage les Séquano-Dionysiens, l’Institut Montaigne propose notamment de « favoriser une coopération efficace entre acteurs publics et privés sur les enjeux de l’emploi, d’insertion, d’école et d’enseignement supérieur ».

En Seine-Saint-Denis, où 63 territoires sont classés quartiers prioritaires de la ville (QPV), et ailleurs, Farid Temsamani souligne un autre enjeu sur lequel se pencher : « Les habitants des quartiers populaires ont énormément d’idées de créations d’entreprises. Cela s’explique notamment parce qu’à la sortie d’études, ils essaient de s’insérer sur le marché du travail et rencontrent très vite un plafond de verre. Ils cherchent alors à sortir du monde professionnel classique pour créer leur propre entreprise, mais les financements bancaires pour les accompagner sont très limités. » Depuis 2011, l’association Banlieue Plus offre donc, en plus d’un accompagnement solidaire aux plus démunis et des sensibilisations aux thématiques qui concernent les territoires, une aide entrepreneuriale faite de coaching professionnel.

Éradiquer le chômage longue durée

Banlieue Plus est engagée dans les quartiers populaires franciliens, lyonnais et toulousains, comme nombre d’associations et de bénévoles le sont sur le reste du territoire national. « Lorsque l’État ou les collectivités territoriales se désengagent, on trouve toujours le relais de gens prêts à donner de leur temps pour faire vivre un tissu associatif très fort », souligne Farid Temsamani. Parfois, ces associations-clés naissent à l’initiative des élus. En 2015, Laurent Grandguillaume, alors député, propose une loi d’expérimentation pour des territoires zéro chômage de longue durée (de plus d’un an). Le principe est simple : sur dix territoires qui abritent entre 5000 et 10 000 habitants, identifier les besoins en main-d’œuvre et financer une part de l’emploi à travers des entreprises à but d’emploi (EBE) implantées sur les territoires concernés, sans faire de concurrence aux activités existantes. « En moins de trois ans, le chômage longue durée a été éradiqué dans trois des dix territoires d’expérimentation », se réjouit Laurent Grandguillaume, désormais président bénévole de l’association Territoire Zéro Chômeur Longue Durée (TZCLD). Des Deux-Sèvres aux Bouches-du-Rhône en passant par le Calvados, les EBE ont déjà permis l’embauche en CDI de 950 demandeurs d’emploi sur leur lieu de vie. En moyenne, ils étaient au chômage depuis 4 ans. « Les emplois tournent beaucoup autour de la transition écologique, l’économie circulaire, la sécurité alimentaire, l’économie de proximité et du service à la personne, détaille Laurent Grandguillaume. Les gens sont fiers de retrouver une utilité sur leur territoire et reprennent confiance en eux. » 10 % des bénéficiaires ont déjà trouvé un autre emploi qui correspond davantage à leur souhait.

L’association TZLCD fait ses preuves avec le soutien des acteurs des territoires avec qui elle travaille au sein des comités de pilotage local. Si elle venait à s’implanter dans le Val d’Oise, l’association travaillerait donc certainement avec le CEEVO (Comité d’expansion économique du Val d’Oise). Cette structure privée financée par la région Ile-de-France et le département assure la promotion et la valorisation du Val d’Oise auprès des investisseurs et des chefs d’entreprises. Depuis quelques années, la notion de « territoire de confiance » taraude le CEEVO. « Il nous faut arriver à insuffler, par des actions, des expérimentations et des événements, l’idée que dans le monde d’insécurité dans lequel on vit, les territoires qui auront anticipé et mis leurs acteurs en ordre de marche pour faire percevoir l’importance de la sécurité globale seront plus attractifs que les autres », soutient Jean-François Benon, Directeur Général du CEEVO.

Consommer local

Parce que les Français sont aussi des consommateurs, ils doivent retrouver la confiance dans leur assiette. La tendance est à l’économie et à la consommation de proximité. « C’est très bien de prôner les circuits courts, mais encore faut-il que ce soit pratique. » Thierry Cabanis est manager de centres-villes pour la communauté de communes de Tarn-Agout, entre Tarn et Haute-Garonne. Fin 2019, entouré des commerçants du territoire – composé de « 21 communes semi-rurales ‘campagne express’, à 30 minutes de Toulouse » – il a donné le départ à l’opération Command’ô terroir. À Saint-Sulpice-La-Pointe et Lavaur, les deux villes-centre de la communauté de communes, 40 producteurs sont désormais réunis sur des emplacements clés, mais délaissés auparavant : « L’idée était de les rapprocher du centre-ville pour motiver les commerces de demain », explique Thierry Cabanis. Désormais, en Tarn-Agout, producteurs, commerçants et consommateurs sont liés par leur territoire et ce qu’il a à leur offrir.

Travailler près de chez soi et se nourrir de ce que nos territoires produisent, c’est aussi participer à la sécurité environnementale. En 2017, le GIEC soulignait que 50 à 70 % des leviers d’actions pour lutter contre le réchauffement climatique se trouvaient au niveau local. En septembre 2019, le groupe d’experts appuyait : « Le renforcement des capacités des autorités nationales et infranationales, de la société civile, du secteur privé, des peuples autochtones et des communautés locales dans le domaine de la lutte contre les changements climatiques peut favoriser la mise en œuvre de mesures ambitieuses permettant de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C. » Or, dans des territoires dynamiques, viviers d’emplois et de biens de consommation locaux, le besoin de se déplacer individuellement en voiture s’amoindrit. Les trajets sont plus courts, les modes de mobilité plus doux et l’air légèrement moins pollué.

Renouer la confiance

« Nous sommes à la croisée des chemins aujourd’hui : crise sanitaire, sociale, économique, identitaire. Nous vivons un moment clé de notre République, estime Farid Temsamani. Il est peut-être temps de dessiner notre destinée commune. Si nous ne le faisons pas, par manque de moyens ou par manque de volonté, la situation va empirer et nous assisterons à un séparatisme dans nos territoires. » La crise du coronavirus semble avoir donné un coup de fouet aux initiatives locales et mis en avant la capacité de résilience des territoires français.

Si bon nombre d’habitants se sont mobilisés pour venir en aide aux plus démunis, pour coudre des masques à destination des voisins et des amis, les autres acteurs territoriaux ne sont pas en reste. Plusieurs communes, comme Strasbourg, ont donné la parole à leurs citoyens pour récolter leurs envies et leurs idées pour améliorer la vie du territoire au sortir du confinement. Davantage d’espaces verts et de pistes cyclables, instauration de conseils de quartier, promotion des circuits-courts etc. : les idées citoyennes ne manquent pas. En Tarn-Agout, Thierry Cabanis a déjà intégré ces volontés. Pendant le confinement, Command’ô terroir était opérationnel et a fait ses preuves. « Il y a eu un effet Covid, remarque le manager de centres-villes. On ne pouvait pas beaucoup se déplacer. Les gens se sont aperçus qu’il y avait des commerces de qualité près de chez eux. » Pour la suite, Thierry Cabanis projette de « créer l’Amazon de Tarn-Agout, avec une vue directe sur les producteurs ».

Avec une nouvelle loi et un fond d’expérimentation plus grand, TZCLD et son président espèrent éradiquer le chômage longue durée dans près de 200 territoires prêts à passer le cap et ainsi « renouer la confiance entre les institutions, la société civile et les acteurs économiques et sociaux ».

Les entreprises du Val d’Oise ont su montrer qu’elles étaient dignes de confiance à travers leur résistance à la crise. TPE, PME et grands groupes se sont mis en ordre de marche pour fabriquer du gel hydroalcoolique, des visières et des protections en plexiglass, des masques. « Les territoires ont fait preuve d’une vraie agilité de résilience », note Jean-François Benon, directeur général du CEEVO. Et d’insister : « Un gros travail de sensibilisation doit être fait envers les politiques, les entreprises, les acteurs publics, les habitants, pour faire émerger une vision partagée de la sécurité globale au niveau territorial et faire comprendre qu’en parler n’est pas forcément anxiogène. C’est presque du développement durable. »

1 Seine-Saint-Denis : Les batailles de l’emploi et de l’insertion – Rapport mai 2020, Institut Montaigne