La réinsertion des personnes détenues : l’affaire de tous et toutes

Le nouveau Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, a pris ses fonctions alors que la France vient d’être condamnée pour ses conditions de détentions inhumaines et dégradantes par la Cour européenne des droits de l’Homme. Le défi qui attend la Chancellerie est alors de taille. Et le Garde des Sceaux a fait de cette problématique un axe central de sa politique. « Il a donné un signal en consacrant sa première visite à la prison de Fleury-Mérogis et en souhaitant vouloir lutter contre l’indignité des conditions des détenus », indique Antoine Dulin, rapporteur du rapport du Conseil économique social et environnemental (CESE) sur la réinsertion. Retour sur les enjeux auxquels le monde carcéral doit faire face pour redonner à la prison la possibilité de remplir ses missions premières : punir, prévenir et réinsérer.

Par Hugo CHAMPION

La surpopulation : premier mal carcéral

Au 1er octobre 2019, on dénombrait 70 818 personnes détenues pour 61 005 places opérationnelles. Les chiffres de la surpopulation carcérale sont stupéfiants. La densité carcérale dépasse 120% dans 97 établissements ou quartiers d’établissements concernant 38 684 personnes détenues. Les disparités sont significatives, avec deux grandes caractéristiques singulières : « la suroccupation est plus forte dans les quartiers et maisons d’arrêt, c’est-à-dire dans les structures accueillant les personnes en détention provisoire qui sont donc présumées innocentes juridiquement, ainsi que les personnes condamnées aux peines plus courtes. Elle y atteint 138% en moyenne, dépasse 150% dans 46 établissements ou quartiers et 200% dans 7 d’entre eux », détaille le rapport du CESE. Face à ce constat accablant, comment espérer favoriser la réinsertion des détenus ? « La logique de la surpopulation est un frein pour toute dynamique de réinsertion. De plus, le personnel pénitentiaire ne peut pas travailler dans de bonnes conditions », souligne Antoine Dulin. Les exemples fournis par le rapport sont alarmants. « Les établissements ont recours à des matelas, simples blocs de mousse posés à même le sol, dans des cellules individuelles où se retrouvent, deux, trois voire quatre personnes ». Les taux d’occupation sont en réalité très variables d’une maison centrale (longues peines) ou d’un centre de détention (peine supérieure à deux ans) à l’autre. Alors qu’en général ces deux types de structures ne sont occupées qu’à 87,3%, certaines, comme le centre pour peines aménagées de Marseille-Les-Beaumettes, connaissent une occupation carcérale de plus de 175% !

L’encellulement individuel, un droit inapplicable

Le droit à l’encellulement individuel, reconnu en France depuis la loi Béranger de 1875, ne peut être appliqué. Dans son rapport de 2018, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan, constatait que seulement 19% des personnes détenues en maison d’arrêt bénéficient d’une cellule individuelle (42% en moyenne sur l’ensemble du parc). Le CGLPL mentionne plusieurs situations où, dès leur arrivée, les personnes occupent à trois une cellule de 9m² équipée d’un seul lit superposé. Pour répondre à ces maux carcéraux, le président Emmanuel Macron avait promis 15 000 places supplémentaires de prison d’ici 2027. Mais « cette politique ne fonctionne pas, elle est très coûteuse et ne répond pas à la logique de réinsertion », selon Antoine Dulin. Construire des places de prison, c’est une invitation à les remplir. La première de ses préconisations est donc de « fixer, pour enfin parvenir au respect du principe de l’encellulement individuel, un objectif pluriannuel de réduction de la population carcérale et le décliner en objectifs annuels, via la politique pénale ».

La récidive, signe d’une machine carcérale en panne

L’article 1er de la loi du 22 juin 1987 confie comme mission au service public pénitentiaire de participer « au maintien de la sécurité publique » et de favoriser « la réinsertion sociale des personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire ». Cette vocation semble aujourd’hui oubliée. Les chiffres de la récidive le confirment. « Le taux [de récidives] semble corrélé aux conditions de sortie des personnes détenues et aux types de peines prononcées. En effet, le taux de récidive pour les personnes incarcérées libérées en sortie sèche est de 63%. A titre de comparaison, il est de 39% pour les personnes incarcérées et en libération conditionnelle et seulement de 34% après une peine de Travail d’Intérêt général (TIG). » La nature de la peine a un impact considérable sur la récidive et les missions de la prison – punir, prévenir et réinsérer – ne peuvent être convenablement conduites. La peine est vidée de son sens par des conditions carcérales qui empêchent les détenus de réintégrer la société dont ils ont été mis au banc. Le défi est considérable. « La formation, le travail, un vrai projet professionnel sont des leviers incontournables pour éviter la récidive », souligne le CESE. Par ailleurs, il est important de faire connaître l’univers carcéral au grand public, pour sortir de l’image fantasmée qu’elle projette. L’ignorance des réalités carcérales conduit l’opinion à soutenir le rôle sévère et punitif de la prison.

Redonner un sens à la peine

Le sens de la peine a fait l’objet de nombreux débats en France. Le père de la sociologie française, Emile Durkheim, pensait que la réelle finalité du sens de la peine n’était point de punir, mais de maintenir la cohésion sociale : « la peine ne sert pas ou ne sert que très secondairement à corriger le coupable ou à intimider ses imitateurs possibles : à ce double point de vue, son efficacité est justement douteuse, et en tout cas médiocre. Sa vraie fonction est de maintenir intacte la cohésion sociale en maintenant toute sa vitalité à la conscience commune ». Malgré tout, le paradigme pénal moderne tend à corriger les effets corrupteurs de la prison et à réinsérer la personne condamnée.

Comment endiguer ce phénomène ?

Le constat actuel montre que les peines alternatives possèdent des vertus à valoriser. « Le taux de récidive est divisé par deux avec des peines alternatives », souligne Antoine Dulin. Et d’ajouter : « Il faut faire de la réinsertion une mission prioritaire. Cela nécessite de changer son regard sur l’univers carcéral ». Pour ce faire, le CESE préconise de poser la question de la réinsertion dès l’entrée en prison du condamné. C’est un travail en amont qui doit être mené par tous les acteurs concernés. Sur la question du logement, par exemple, 30% des détenus qui sortent de prison se retrouvent sans domicile fixe. Il y a donc là un travail considérable à mener avec les partenaires sociaux. Le CESE propose également d’utiliser davantage l’assignation à résidence sous forme électronique associée à un suivi socio-judiciaire comme alternative à la détention provisoire. La question fondamentale est de savoir « comment on ne fait plus de la prison la peine référence », souligne Antoine Dulin. Le CESE met ainsi l’accent sur la nécessité d’instaurer davantage de centres de semi-liberté et atteindre dans les prochaines années l’objectif de 5 000 places en placement extérieur.

La prison : des réalités méconnues

Au-delà des chiffres de la surpopulation carcérale qui dépeignent un constat dramatiquement connu de l’état des prisons françaises, il existe d’autres réalités carcérales mésestimées. La situation des femmes en est un parfait exemple. En France, il n’existe que deux établissements exclusivement réservés aux femmes, à Rennes et à Versailles. De ce fait, elles se révèlent être beaucoup plus isolées que les hommes. Leur éloignement géographique conduit bien souvent à une rupture des liens sociaux. Leur faible proportion (3,7% de la population carcérale française), « est souvent mise en avant pour justifier l’absence de politique volontariste spécifique visant à faciliter leur accès à toute forme d’activité au même titre que les hommes (du sport au travail en détention) », explique le rapport. Le CESE propose de développer une plus grande variété d’offre de Travaux d’intérêt général (TIG), en particulier par les collectivités territoriales et les organismes concourant aux services publics de proximité, pour mieux répondre à la diversité des situations pénales. Seuls 8% des TIG concernent des femmes aujourd’hui. De ce fait, il appelle à un développement des postes adaptés aux femmes sans stéréotype de genre.

Un défi pour le nouveau ministre de la Justice

Eric Dupond-Moretti, alors avocat, avait co-signé une lettre ouverte au président de la République pour demander « qu’à la gestion de l’urgence [sanitaire] succède une véritable politique de déflation carcérale à même de garantir l’encellulement individuel et des conditions de détention dignes et de favoriser la prise en charge en milieu libre de ceux qui peuvent ou doivent l’être ». L’ancien avocat semble alors particulièrement sensible aux problématiques carcérales, et apparaît comme résolu à juguler la surpopulation carcérale en favorisant les alternatives à l’incarcération. Signe d’une nouvelle impulsion, l’examen du projet de loi organique réformant le Conseil économique social et environnemental (CESE) a débuté en septembre à l’Assemblée nationale. Ce projet vise à transformer le CESE en « chambre des conventions citoyennes », afin d’en faire un acteur incontournable de la démocratie participative à la française.

Dans l’œil du photographe

Du 22 novembre au 31 janvier 2020, le CESE a organisé une exposition photographique sur les grilles du Palais d’Iéna. Le photographe, Grégoire Korganow, dont les photos ont fait l’objet de nombreuses projections, connaît bien l’univers carcéral. « De janvier 2011 à janvier 2014, j’ai visité près d’une vingtaine d’établissements pénitentiaires en France. J’ai réalisé, durant cette longue immersion libre et inédite, un corpus visuel implacable sur l’état des prisons françaises et le traitement réservé aux personnes jugées coupables de délit dans notre pays », indique le photographe. Le travail de Grégoire Korganow vise précisément à « donner à voir ce qui n’est pas forcément spectaculaire », nous explique-t-il. Cela fait maintenant plus d’une douzaine d’années que le photographe balade son objectif dans les lieux à « l’ombre de la société ». La prison fait objet de fantasmes qui ont inspiré de nombreux écrits, réalisations cinématographiques, etc. Il existe un imaginaire fort de la prison. Une fois que l’on s’est débarrassé des stéréotypes, des violences symboliques moins visibles apparaissent. « La prison est un endroit particulièrement significatif pour ces choses. Comment photographier une porte toujours fermée ? L’arbitraire ? Le bruit ? La lumière artificielle ? ».

Le photographe donne alors un regard de l’univers carcéral qui échappe à la déshumanisation. Il donne à voir « une lumière difficile à voir dans cet abîme. Il y a des gens formidables en prison : des surveillants, des directeurs, des CPIP. »

« Les photos de Grégoire Korganow transposent à la fois les conditions de détention mais elles apportent également un regard humain sur les personnes qui y sont détenues et qui y travaillent », confirme Antoine Dulin. « La prison est un incubateur de ce qui ne va pas, mais c’est aussi un accélérateur de choses assez belles » relate le photographe.Grégoire Korganow soutient alors que la prison n’a de sens que si la prévention et la réinsertion sont inclues dans le sens de la peine. Pour en connaître davantage de la « Dernière Grande muette », rendez-vous en 2021 à la prochaine exposition de Grégoire Korganow qui exposera certaines de ses correspondances avec les détenus.

Les enjeux du monde carcéral sont aussi grands que délicats. S’il paraît nécessaire de devoir réinvestir ce milieu à l’ombre de la société, la puissance publique devra d’abord conduire une réflexion profonde sur le sens de la peine. La hausse historique du budget (+8%) alloué à la Chancellerie donne au nouveau Garde des Sceaux des moyens concrets de transformer ses promesses en actes. Eric Dupond Moretti a récemment affirmé : « je veux qu’une peine soit exécutée dès qu’elle est prononcée ». Et d’ajouter : « un TIG qui met 14 mois à être exécuté pourra être exécuté du jour au lendemain ». Le discours est là ; attendons les actes !