La lutte antidopage, quels enjeux pour demain ?

Confinement strict des sportifs et des contrôleurs, difficultés de transport des échantillons, fermeture des laboratoires d’analyses réaffectés au dépistage du virus de la Covid-19, les dispositifs de lutte antidopage n’ont pas échappé aux perturbations provoquées par la crise sanitaire qui bouleverse le monde depuis plus d’un an. A l’horizon des grandes compétitions internationales qui auront lieux dans les prochaines années, la refonte des dispositifs de lutte antidopage et l’utilisation des nouvelles technologies sont autant d’enjeux de sécurité, d’éthique et de santé publique.

Par Philipine Colle

Quelles évolutions dans la lutte anti-dopage à l’horizon des JO ?

Les dispositifs de contrôle connaissent aujourd’hui un retour à la normale et le rythme des dépistages est amené à s’intensifier dans le contexte de la préparation des Olympiades qui auront lieu dans moins de 100 jours à Tokyo. Le programme antidopage mis en place dans le cadre de cette édition japonaise est le plus vaste jamais réalisé. Débuté six mois avant les Olympiades, il concerne trente-trois disciplines contre seulement sept à Rio. Pour la première fois, le comité olympique a confié la gestion des activités de lutte contre le dopage à l’Agence de Contrôle International (ACI), fondée en 2018, afin de faciliter la coopération avec les agences nationales en amont des compétitions. « Les responsabilités incombant à Tokyo2020 nous ont été transférées. Nous souhaitons capitaliser sur l’expérience acquise lors des précédents grands évènements. De façon inédite, nous allons déployer une stratégie de stockage à long terme d’échantillons prélevés plusieurs mois avant les Jeux » détaille Matteo Vallini, responsable des contrôles à lACI. Francesca Rossi, directrice des contrôles au sein de l’Agence Française de lutte contre le dopage explique « Le stockage pour une période de dix ans existe déjà au niveau national, mais le partenariat entre les agences nationales et l’ACI permettra de lui donner plus de visibilité dissuasive pour les tricheurs mais surtout une meilleure réallocation des ressources. Nous avons reçu les recommandations émises par une task force gérée par l’ACI qui permettra d’éviter de dupliquer les tests coûteux inutiles. Le point fort de l’antidopage réside avant tout dans la collaboration, nous avons besoin d’échanger nos informations. Dans l’optique des grands événements français, il faut continuer à promouvoir cette multiplicité ».

Alors qu’un accord de collaboration pour le contrôle des tests et le partage des enquêtes a été signé lannée dernière entre l’ACI et les Agences nationales, un programme de formation a déjà commencé en France pour former des spécialistes à lhorizon 2024.

Larme numérique au service de la lutte antidopage

Les technologies sont au cœur des dispositifs de lutte antidopage. Depuis 2005, le logiciel ADAMS (Anti-Doping Administration & Management System) basé sur la géolocalisation des athlètes qui ont pour obligation de se présenter à des contrôles à la demande de leur fédération permet d’éviter que les fraudeurs effectuent, à la veille des compétitions, des séjours dans des pays où des substances dopantes sont faciles d’accès et les contrôles impossibles en raison de l’éloignement. Les résultats de ces contrôles s’ajoutent à ceux réalisés lors des compétitions au sein d’un passeport numérique nommé « passeport biologique de l’athlète ». Un système très contraignant pour les sportifs aux coûts très élevés. Le développement d’algorithmes de traitement des données pourrait le rendre plus efficace. Le laboratoire I3S du CNRS basé à Sophia Antipolis développe une intelligence artificielle capable de repérer les sportifs suspects en fonction de leurs évolutions de performances avant même l’ouverture d’enquêtes coûteuses. Dans le cadre des JO 2021, diverses applications ont été développées afin de faciliter la localisation des sportifs en délégation ou encore d’améliorer la sécurité des communications qui se faisaient jusqu’à présent par e-mail. « Nous souhaitons mettre un terme aux partages d’informations par courriels pouvant faire l’objet de fuite » explique Matteo Vallini.

Le développement de nouvelles armes antidopage numériques pose néanmoins la question de la cybersécurité des laboratoires et de la confidentialité et de l’intégrité des données stockées. En 2019, seize organisations sportives ont été piratées ainsi que l’Agence Mondiale Antidopage (AMA), déjà victime d’une intrusion en 2016, dans le but de rendre impossible les contrôles et de voler des données médicales confidentielles pour discréditer des sportifs de certaines nations. « Les attaques cyber visant les laboratoires de recherche pendant le plus fort de la crise sanitaire ont été nombreuses. A l’approche des grands évènements sportifs internationaux, il ne serait donc pas surprenant de voir celles-ci se multiplier pour accéder aux données des sportifs et discréditer des athlètes et modifier les cotations des paris sportifs. Ces données représentent des montants financiers importants pour ceux les détenant. Au-delà des enjeux financiers de haute couture, il y a des enjeux politiques et géostratégiques très importants. » souligne David Ofer, Vice-président ITtust. Aussi, rappelle t-il l’importance de la mise en oeuvre d’une politique et d’une stratégie de cybersécurité renforcée par l’usage de l’Intelligence Artificielle « Socle majeur de la confiance, la cybersécurité doit pouvoir bénéficier de toute la puissance de l’intelligence artificielle. Seules des capacités portées par les outils automatisés, disposant d’une telle puissance d’analyse, de détection et de remédiation pourront répondre aux enjeux de sécurité et de protection des données dans le domaine stratégique et vital de la santé. C’est ce que nous faisons au travers de Reveelium développé pour fournir un système expert de détection d’anomalies, de comportements anormaux, basé sur des algorithmes intelligents quITrust développe depuis plus de 5 ans avec l’appui de plusieurs laboratoires spécialisés en IA.»

La lutte antidopage au péril de la géopolitique ?

Outre les cyberattaques envers des laboratoires attribuées à des groupes plus ou moins directement affiliés à un Etat, le système de lutte antidopage mondial est globalement mis en péril par des velléités de puissance géopolitique. Au même titre que l’excellence sportive, l’affichage d’une exemplarité et la participation à la lutte contre les activités de dopage sont des moyens d’influence répandus. L’Agence Mondiale Antidopage, responsable de la coordination des normes établies par les agences nationales, pâtit d’une guerre d’image entre les Etats-Unis et la Russie. Accusée de partialité par Moscou à la suite de l’exclusion, pour une durée de quatre ans et pour toutes les compétitions internationales, des athlètes ressortissants du pays accusé d’avoir organisé un système étatique de dopage, l’AMA est également critiquée pour le même motif du côté américain. Alors que les Etats-Unis disposent du plus grand nombre de siège au conseil d’administration de l’organisation internationale dont ils sont les premiers financeurs, un rapport de la Maison Blanche publié en juin 2020 préconisait la sortie de l’organisation si aucune garantie supplémentaire d’indépendance n’était adoptée. Des accusations d’inefficacité du multilatéralisme matérialisées en novembre dernier par la promulgation, par l’ancien Président Trump, du Rodchenkov Antidoping Act. Cette loi permet aux Etats-Unis de poursuivre hors de leurs frontières toute personne impliquée dans une affaire de dopage à l’échelle internationale. « Cette décision conforte lidée que l’AMA et le Tribunal arbitral du sport ne suffisent pas. Elle pourrait amener d’autres pays à penser qu’ils doivent agir unilatéralement » analyse Lukas Aubain spécialiste de la géopolitique de la Russie et du sport à lUniversité Paris Nanterre. Et de poursuivre « Au-delà de l’efficacité du système, il s’agit bien d’une affaire de discours. Le poids des mots ne trompe pas, le nom donné à la loi, inspiré par un médecin russe, impliqué dans un scandale de dopage n’est pas sans velléité d’intimidation ».

Le devoir dexemplarité de la France qui doit accueillir, en 2023, la Coupe du monde de rugby et les Jeux olympiques, en 2024, s’inscrit dans le multilatéralisme qui passe notamment par ladoption en février par lAssemblée Nationale et le Sénat du projet de loi habilitant le gouvernement à transposer par ordonnances dans le droit français la nouvelle version du code mondial antidopage, entrée en vigueur le 1er janvier 2021.