Les violences faites aux femmes : un fléau au cœur de notre société

Chainez, Carole, Ivana, Lili et 108 autres femmes ont perdu la vie en 2021 sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint en France. Elles étaient 102 en 2020 et 146 en 2019. On compte aujourd’hui 10 féminicides, en France, depuis le début de l’année. Alors que la campagne présidentielle bat son plein, certains candidats émettent des propositions, jugées insuffisantes par nombre d’acteurs engagés sur le terrain.
Par Camille Léveillé

Les féminicides restent la forme la plus extrême des violences infligées aux femmes mais ce ne sont pas les seules. Le cadre législatif est aujourd’hui assez complet, mais la mise en œuvre des moyens de lutte contre les violences faites aux femmes reste compliquée.

Des violences protéiformes aux conséquences multiples

Selon la Déclaration sur l’élimination des violences à l’égard des femmes adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU en 1993, les violences faites aux femmes désignent « tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée. » Sont compris dans cette définition des actes tels que le harcèlement sexuel, le viol conjugal, l’exploitation sexuelle, les mutilations génitales ou encore le cyberharcèlement.Les violences faites aux femmes sont donc nombreuses, existent au quotidien et chacun peut en être témoin. Selon un sondage IPSOS réalisé en 2019, 81% des femmes ont déjà été harcelées sexuellement dans des lieux publics1.
Ces violences posent également la question des témoins de ces sévices et de leur réaction. 86% des sondés en 2019 répondaient ne pas savoir comment réagir face à du harcèlement sexuel de rue.Dans la sphère privée, les violences infligées aux femmes ont des conséquences sur les enfants. En 2020, 14 enfants ont été tués dans le cadre de violences au sein du couple, 30 enfants ont été témoins du féminicide de leur mère et 82 enfants sont devenus orphelins2.La diversité des violences faites aux femmes entraîne une difficile prise en charge.

Un encadrement législatif renforcé mais pas toujours efficace

La réponse de l’Etat pour lutter contre le phénomène des violences faites aux femmes repose sur l’arsenal législatif mis en place. A l’automne 2019, lors du premier Grenelle contre les violences conjugales, une stratégie nationale de lutte contre ces violences a été adoptée. 6 nouvelles mesures ont été annoncées en septembre 2021 dans le cadre du cinquième plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes. Dans ce cadre, 3000 téléphones « grave dangers » supplémentaires ont été octroyés et un fichier recensant les auteurs de violences conjugales a été créé.A Nantes, une expérimentation appelée « justice restaurative » s’est déroulée entre mai et septembre 2021. 3 femmes victimes de violences conjugales et 3 hommes auteurs de ces violences se sont rencontrés sans se connaître et ont échangé durant plusieurs séances. L’objectif ? Pour les victimes de se reconstruire et pour les auteurs d’éviter la récidive. Ce dispositif basé sur le volontariat est jugé « intéressant » selon Anne Bouillon, avocate spécialisée dans les violences faites aux femmes : « il y a encore beaucoup d’auteurs qui sont dans le déni des violences conjugales, qui peuvent parler, par exemple, de disputes et mettant leur responsabilité à équivalent avec celle de la victime. »3En complément de ces actions conduites par l’Etat, plusieurs associations aident les femmes victimes de violences, les proches ou les témoins afin de les accompagner et de les conseiller. Ces structures saluent les nombreux efforts législatifs réalisés pour tenter d’endiguer le phénomène de violences à l’encontre des femmes mais déplorent leur efficacité relative. Françoise Brié, présidente de la Fédération nationale solidarités femmes (FNSF) se félicite dans les colonnes du journal Le Monde :« Même s’il peut encore être amélioré, on a aujourd’hui un arsenal législatif assez complet. » et d’ajouter « Maintenant, il faut l’appliquer sur l’ensemble du territoire. »4. Selon un rapport publié par La Fondation des femmes en novembre 20215, près de 40% des femmes qui demandent un hébergement pour quitter leur domicile, où elles ne sont pas en sécurité, n’ont pas de réponse de la part des pouvoirs publics. Le rapport conclut sur la nécessité d’augmenter de 5 à 8 fois le budget pour faire face aux besoins en termes d’hébergement des femmes victimes.Les associations de lutte contre les violences faites aux femmes citent souvent l’Espagne comme exemple de réussite dans la lutte contre ce fléau. Ce pays a consacré des juridictions spécialisées dans les violences de genre, a créé des unités de police et de gendarmerie formées et spécialisées sur ces questions.

Un sujet au coeur des programmes électoraux

Les candidats à l’élection présidentielle ont, pour la majorité, prévus dans leur programme des mesures de lutte contre la violence faite aux femmes : Jean-Luc Mélenchon, Fabien Rousel, Yannick Jadot et Anne Hidalgo promettent une enveloppe d’un milliard d’euro pour mettre fin aux violences.Jean-Luc Mélenchon propose un programme articulé en quatre volets : la prévention, la formation des professionnels, le soutien aux associations et l’hébergement des femmes victimes de violences en mettant l’accent sur le premier volet estimant qu’il faut aller à la « racine du problème ».Yannick Jadot investirait ce milliard « dans les capacités à écouter, à agir en urgence pour protéger les femmes » ainsi que dans la formation des corps de métiers concernés. Un autre pan de son action est consacré à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.Anne Hidalgo propose la mise en place d’un référent sur le modèle anglais qui suivrait la victime tout au long de ses démarches administratives et judiciaires mais également la suspension de l’autorité parentale pour toute personne reconnue coupable de violence intra- familiale.Valérie Pécresse propose d’instruire les violences conjugales en 72 heures, de les juger en 15 jours et de créer une justice spécialisée sur le modèle espagnol. Elle appelle enfin à « agir beaucoup plus fort contre les violences faites aux femmes » dans une tribune au Monde début janvier. Marine Le Pen insiste sur la lutte contre le harcèlement de rue. Elle souhaite que ce dernier soit passible d’une peine de prison lorsqu’il est à connotation sexuelle.Du côté de Jean Lassalle, François Asselineau et Eric Zemmour, aucune mesure pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes n’a encore été dévoilée.Selon le collectif #NousToutes, ces mesures sont insuffisantes notamment car le milliard d’euros, montant préconisé par le Haut Conseil à l’Egalité, ne couvre que l’éradication des violences au sein du couple et non l’ensemble des violences sexuelles et sexistes.

1 Alice Tétaz, « 81% des femmes en France ont déjà été victimes de harcèlement sexuel dans les lieux publics », sondage IPSOS, https://www.ipsos.com/fr-fr/81-des-femmes-en-france-ont-deja-ete– victimes-de-harcelement-sexuel-dans-les-lieux-publics

2 Etude nationale sur les morts violentes au sein du couple 2020, Etude réalisée par la Délégation aux Victimes, ministère de l’Intérieur

3 « Violences faites aux femmes : il faut se poser la question de « comment on éduque nos petits garçons et nos petites filles », selon une avocate spécialisée », France Info, 25 novembre 2021

4 Solène Cordier, « Violences faites aux femmes : le bilan en demi-teinte de Macron », Le Monde, 26 novembre 2021

5 Rapport publié le 25 novembre 2021 par la Fondation des Femmes intitulé « Ou est l’argent pour l’hébergement des femmes victimes de violences ? »