Les canaux de la coopération

À l’heure de la mondialisation de la criminalité, comment s’organise la coopération policière internationale ? Rencontre avec Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales de la direction centrale de la police judiciaire au ministère de l’Intérieur.

Par Céline Brunetaud

« La division des relations internationales de la direction centrale de la police judiciaire a joué un rôle crucial dans les enquêtes menées suite aux attentats du 7 janvier et du 13 novembre 2015  en France. Elle a été immédiatement mobilisée pour traiter les échanges avec nos partenaires étrangers », déclare Jean-Jacques Colombi, commissaire divisionnaire, chef de la division des relations internationales (DRI).

Cet organisme est chargé de coordonner la coopération policière internationale à caractère opérationnel qui s’organise autour d’Interpol, de l’agence européenne Europol et du système d’information Schengen (SIS). « La DRI ne procède pas à des enquêtes, elle fournit un appui et une aide aux enquêteurs et aux magistrats. Elle adresse des demandes d’informations à l’étranger ou effectue des transferts de données. Son action a été essentielle dans la lutte contre ces actes terroristes. La police et la magistrature françaises et belges ont oeuvré ensemble. Des équipes communes d’enquête ont été mises sur pied dans un intérêt conjoint. Elles ont bénéficié d’une information similaire en temps réel grâce aux canaux de coopération que la DRI gère avec Europol et Interpol », ajoute-t-il. Pour les forces de sécurité nationales (police, gendarmerie, services douaniers) et la magistrature française, ces deux entités, auxquelles s’ajoute la présence d’officiers de liaison français en ambassade, représentent des outils d’aide à l’enquête. Le troisième canal de coopération est le système d’information Schengen (SIS). « À la différence d’Europol et d’Interpol, facilitateurs d’enquête, Schengen est un outil d’aide au contrôle aux frontières et sur la voie publique », souligne le commissaire divisionnaire. Mis en oeuvre en 1995, les accords de Schengen consacrent le principe de libre circulation des personnes au travers de la suppression des frontières intérieures qui peuvent être rétablies temporairement pour des raisons de sécurité, mais prévoient en contrepartie un système d’information commun de coopération policière et judiciaire. « Schengen fonctionne comme un vaste filet tendu au-dessus des 30 États membres et associés. Grâce au SIS et aux bureaux SIRENE (supplément d’informations requis à l’entrée nationale des étrangers) qui en ont la gestion opérationnelle, les pays peuvent mener de nombreux contrôles au sein de cet espace géographique. Pour l’État demandeur, la remontée d’informations est immédiate. Pour vous donner un exemple, lors d’un contrôle sur la voie publique, un policier lance une recherche dans le SIS via son application nationale de recherche pour savoir si l’individu est signalé pour être localisé, surveillé ou interpellé ou si le véhicule est signalé pour être saisi. S’il obtient un ‘hit’ avec un signalement émis par l’un des pays partenaires, le policier contacte le bureau SIRENE France, qui contacte son homologue de l’État concerné et sait exactement quelle est sa conduite à tenir vis-à-vis de l’individu ou du véhicule », explique le chef de la DRI. Depuis 2015, l’organisme basé à Nanterre, qui gère depuis sa création le bureau Sirene, a également la responsabilité de l’office NSIS, chargé du bon fonctionnement technique de l’architecture informatique nationale interagissant avec le SIS. Le SIS compte plus de 75 millions de signalements, dont 880 000 personnes recherchées et plus de 56 millions de documents perdus ou volés. La France est le premier utilisateur du SIS, avec 20 % des 5 milliards de requêtes faites en 2017 par les 30 États connectés, lesquelles ont donné lieu à un total de plus de 240 000 « hits ».

SCCOPOL

Pour mieux travailler et échanger avec ses interlocuteurs étrangers d’Interpol, d’Europol ou du dispositif Schengen, la DRI dispose de trois composantes, une section de gestion administrative, le SCACEI, service en charge des actions de coopération européenne et internationale pour l’élaboration des stratégies françaises dans le cadre des échanges avec Interpol et Europol et, la SCCOPOL, section centrale de coopération opérationnelle de police. Mise en place en 2000, la SCCOPOL fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept « pour une réponse efficiente ». Cette plateforme interministérielle constitue le point d’entrée unique des demandes émises par les enquêteurs français auprès des services étrangers comme des sollicitations en provenance de l’étranger, pour les canaux Interpol, Europol et SIS. « Le volume des échanges ne cesse d’augmenter. En 2017, la police, la gendarmerie, la douane ont échangé plus de 550 000 messages avec leurs partenaires étrangers : 225 000 fois par le biais d’Interpol, 205 000 grâce à Schengen, 40 000 via Europol, 40 000 par les commissariats communs et 25 000 par le biais des officiers de liaison », indique Jean-Jacques Colombi. Ce dernier renchérit : « Si la coopération policière est améliorable, elle fonctionne et n’a jamais aussi bien fonctionné. Concernant Schengen, avant 2011, quand des policiers étrangers demandaient une information à leurs homologues français, ceux-ci répondaient en opportunité et à condition de réciprocité. Une seule exception, quand une procédure pénale était ouverte sur le territoire national, ils ne transmettaient pas. Aujourd’hui, lorsque les forces de sécurité du pays détiennent une information et qu’un État de l’Union européenne la demande, il faut la lui transmettre, sauf motif particulier, même s’il n’y a pas de réciprocité. Maintenant, il y a un caractère obligatoire de répondre dans des délais contraints. » En outre, de plus en plus d’outils sont mis à la disposition de la coopération policière internationale. « Elle existe depuis longtemps. L’organisation internationale Interpol a été créée en 1923. Sur le vieux continent, elle s’est développée au fur et à mesure que l’Europe s’est construite. Cette coopération s’opère dans une confiance mutuelle entre les différentes nations dans la majeure partie des cas. Mais, face à une criminalité mondialisée, il y a une nécessité d’apporter des réponses rapides, précises et adaptées. Selon mon avis, des systèmes renforcés d’échanges de données, notamment biométriques doivent être mises en place. L’interopérabilité des systèmes d’information est la clé pour les années à venir », conclut Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales.

 

Le Traité de Prüm de 2005, étendu par les décisions (UE) de 2008, ont représenté une des grandes avancées en matière de coopération policière européenne. Ce dispositif permet à un Etat membre d’effectuer, en une seule recherche, une comparaison de données biométriques (ADN ou empreintes digitales) avec les bases de données nationales correspondantes des autres Etats connectés. La coopération Prüm a en outre permis la création d’un système informatique de partage des données des registres d’immatriculation des véhicules, relatives aux véhicules et à leurs détenteurs (EUCARIS). Enfin, elle prévoit des mesures visant à approfondir la coopération policière transfrontalière en matière de sécurisation des grands événements et de patrouilles communes.