Sauvegarder le patrimoine de l’humanité

Le trafic illicite de biens culturels n’a pas de frontières. Quelles sont les actions pour prévenir cette menace qui met en péril le patrimoine aussi bien national qu’international. Rencontre avec Claire Chastanier, adjointe au sous-directeur des collections au service des musées de France de la Direction générale des patrimoines.

Par Céline Brunetaud

« L’activité souterraine est difficilement quantifiable, mais selon les statistiques annuelles des vols déclarés, en France, nous constatons leur décrue grâce notamment à la prévention auprès des propriétaires privés, mais nous devons rester vigilants », affirme Claire Chastanier, adjointe au sous-directeur des collections au service des musées de France de la Direction générale des patrimoines. Le phénomène n’est pas récent. À la fin des années 1960 et au début des années 1970, les musées ainsi que les sites culturels ont été victimes de vols principalement dans les pays du Sud. Les biens ainsi dérobés se voyaient proposer à la vente auprès de collectionneurs privés voire d’organismes officiels situés dans les pays du Nord. Face à l’ampleur de la situation, en 1970, l’UNESCO a adopté une convention internationale concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels. À ce jour, 137 États membres de l’UNESCO ont ratifié la Convention de 1970. Comme le dispose son article 1er du document « sont considérés comme biens culturels les biens qui, à titre religieux ou profane, sont désignés par chaque État comme étant d’importance pour l’archéologie, la préhistoire, l’histoire, la littérature, l’art ou la science […] ». « N’importe quel objet ayant de la valeur intéresse les trafiquants. Un fait qui peut surprendre, en 2010-2012, un gang sévissait avec violence dans les pays européens pour voler des cornes de rhinocéros exposés dans les muséums d’histoire naturelle. Autre exemple, en 2018, le reliquaire du cœur d’Anne de Bretagne a été dérobé très vraisemblablement pour sa constitution en or. En effet, les métaux précieux composant un bien sont fondus pour être ensuite vendus pour la valeur de la matière première, impliquant une disparition irrémédiable des œuvres », souligne-t-elle.

Base TREIMA

Les églises, les sites archéologiques, mais aussi les musées restent des lieux sensibles qu’il faut protéger et surveiller. Le ministère de la Culture a créé une mission d’expertise pour limiter le risque de vol en France et à l’étranger et, par conséquent, sécuriser les biens prêtés en vue d’une exposition. Après audit par les policiers et les pompiers détachés qui la composent, le musée demandeur d’un prêt d’œuvres peut choisir entre deux options. Si le site ne correspond pas aux standards définis par l’hexagone, il doit s’équiper pour combler les failles de sécurité et recevoir la collection. S’il refuse, les biens ne lui sont pas prêtés le temps de l’exposition.

Malgré toutes les mesures préventives prises, il arrive que le bien finisse dans les mains de trafiquants. L’infraction est alors enregistrée dans la base de données TREIMA (Thesaurus de recherche électronique et d’imagerie en matière artistique). Cette photothèque inclut les photographies des biens culturels volés en France, ainsi que certains autres volés à l’étranger quand leur disparition est signalée par le canal d’INTERPOL. « Elle est gérée par l’office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC) », précise Claire Chastanier. L’OCBC est chargé de mener des missions de répression au travers d’enquêtes d’initiative et sur instructions des magistrats, de prévention auprès notamment de professionnels du marché de l’art, de formation au profit d’enquêteurs français et de policiers étrangers et de coopération internationale. Elle ajoute : « TREIMA n’est pas accessible au grand public à l’inverse de la base d’INTERPOL. Il est recommandé de consulter cette base internationale pour vérifier si une œuvre mise en vente n’est pas volée. Il faut savoir qu’en Europe en particulier en France grâce au ministère de la Culture, à la douane et à la police avec l’OCBC, les marchés sont assez surveillés. » Au plan international, l’UNESCO et l’ICOM (The International Council of Museums), organisation non-gouvernementale, luttent contre le trafic illégal de biens culturels. Créé en 1946, ce conseil international des musées est la seule organisation de musées et de professionnels de musées à l’échelon mondial avec 30 000 membres répartis dans 137 pays. Elle a pour mission de promouvoir et protéger le patrimoine culturel et naturel, présent et futur, tangible et intangible. « Quatre à cinq pays dans le monde dont la France possède des services de police spécialisés. Dans certains pays, ce n’est pas la priorité, mais la coopération a permis de remonter des filières. »

Zones de conflit

Le trafic s’intensifie en période de troubles par exemple lors de conflits, dans des zones aux conditions sécuritaires instables, ou suite à une catastrophe naturelle. « Les policiers spécialisés français constatent souvent un temps de latence entre le signalement du vol et la vente. Comme si les trafiquants souhaitaient faire oublier l’objet en question ou lui refaire une « virginité ». Parfois les objets volés sont destinés à d’autres pays que l’Europe comme la sphère asiatique ou les pays du Golfe. » Le ministère de la Culture, via le contrôle à l’exportation, voit resurgir des biens volés ou pillés. En 2016, une saisie douanière a permis de récupérer deux plaques en pierre provenant de Syrie datant du XIVe et XVe siècle déclarées comme décoration de jardin. En 2018, ont été retrouvés des biens culturels libyens vendus illégalement à un antiquaire barcelonais qui les exposait dans sa boutique. « Il y a eu une intensification du trafic instrumentralisé par du groupe État islamique à des fins mercantiles. Fort heureusement, son assise territoriale se réduit actuellement, mais les pays limitrophes de l’EI seraient des plaques tournantes pour partir dans le circuit de revente », précise l’adjointe au sous-directeur des collections. Pour faire face à l’ampleur de la situation, a été mis en place un contrôle à l’importation spécifique dans la loi de 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (dite LCAP). À cela s’ajoute la création de refuges. Les biens culturels en grand danger dans un pays auraient un droit d’asile en France le temps que la stabilité regagne le territoire. Peut être aussi annulée l’acquisition d’un objet d’origine illicite faite de bonne foi par des institutions publiques françaises. Le ministère de la Culture a également été saisi par la Justice pour prévoir un article dans la loi anti-terroriste du 3 juin 2016. L’article 12 concerne la lutte contre le financement du terrorisme auquel le trafic de biens culturels pourrait participer.

Sécurité des biens culturels

Régulièrement, d’autres mesures s’appliquent comme le code du patrimoine, le droit douanier ou les sanctions pénales. « Mais nous réalisons beaucoup d’actions de prévention », spécifie Claire Chastanier. Il existe un guide d’information de la Direction générale des patrimoines datant de 2010, Sécurité des biens culturels. « Il a été conçu comme un outil à l’usage des propriétaires privés et publics en expliquant quelles sont les mesures juridiques et opérationnelles à prendre pour protéger ses œuvres. » Le document sera mis prochainement mis à jour, notamment avec l’insertion des mesures issues de la loi LCAP. L’OCBC surveille avec attention les catalogues de vente publique. « Ainsi, nous avons pu retrouver récemment un bien dérobé il y a 150 ans. Nous effectuons beaucoup de pédagogie auprès des propriétaires privés. Cela doit devenir un automatisme de prendre des photographies des œuvres qu’ils détiennent pour qu’il soit possible de mieux les identifier en cas de vol. »

La Convention UNIDROIT, créée en 1995, agit en complément de la Convention de l’UNESCO de 1970. La France l’a signé, mais ne l’a pas ratifiée. Elle a pour but de favoriser la préservation et la protection du patrimoine culturel. Elle oblige le possesseur d’un bien volé à le restituer dans tous les cas. Cette règle oblige donc l’acquéreur à vérifier que le bien est rentré licitement dans le commerce sous peine de devoir le rendre.